CENTRO PRO UNIONE semi-annual Bulletin In this issue: N.43 -Spring 1993 ISSN: 1122-0384 ,,, Letter from the Director . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.2Le dialogue catholique-orthodoxe. Quelques enjeux ecclesiologiques de la crise autour des Eglises unies par Herve Legrand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 3 Catholic-Orthodox Relations in Post-Communist Europe: Ghosts from the Past and Challenges for the Future by Ronald G. Roberson ............................................ p. 17 A Multilingual Bibliography of Interchurch and lnterconfessional Theological Dialogues: Eighth Supplement (1993) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 32 Centro Pro Unione -Via S. Maria dell' Anima, 30 -00186 Rome, Italy A Center conducted by the Franciscan Friars of the Atonement Director's Desk In this issue, we are pleased to present the texts of two conferences given at the Centro Pro Unione. The text of Prof. Herve Legrand takes an ecclesiological look at the fundamental issues touching the problems in the relations of the Catholic and Orthodox churches. Dr. Ronald Roberson looks more to some of the historical-political issues which still come up from the past but need not impede the future. As is our custom, we present in this issue the eighth supplement of our Bibliography of Interchurch and lnterconfessional Theological Dialogues. Sr. Mary Peter Froelicher, SHCJ has done the tedious work of compiling this supplement. Our twenty-fifth anniversary celebrations begins with the conference of Dr. Anton W .J. Houtepen who will speak on "Faith of the Church through the Ages: Hermeneutics and Ecumenism". Our celebrations continue with a Summer School in Ecumenism (June 28-July 16) taught in collaboration with other Friars of the Atonement engaged in the ecumenism. There are still some places available; if anyone is interested please write to us at the Centro. It is also our hope to begin a course in Italian during the year on biblical spirituality for the ecumenical movement. In addition to this activity there will be other talks and events to commemorate the Friars engagement in the ecumenical movement here in Rome. Our Fall issue will carry the texts of some of these activities. So that the Centro Pro Unione can carry out all of its activities, we need the help of volunteers. We have been most fortunate during these past two years to have the services of Sr. Jacinta Schoenmakers, JMJ. Sister Jacinta is a gifted linguist who spends the afternoons welcoming visitors to the Centro and answering the phone. She is also an excellent proof reader and has helped the librarian in the tedious job of the verification of library cards and the proper filing of these. We are most grateful to Sister's religious community for allowing her to contribute in a concrete and warm way to our ministry in Rome. Another trusted helper has been our own Friar Brian Terry, SA who is doing his theological studies in Rome. Brian has been responsible for the transformation of this Bulletin and for the maintenance of our computer network. We are thankful for his contribution to the work of the Centro Pro Unione. We are in the process of up-dating the International Directory of Ecumenical Centers which the Centro Pro Unione has published since 1968. Some of you will be receiving a letter from Friar David Fitzgerald, SA requesting that you revise your entry. In this same mailing we will also be sending you a survey on the teaching of ecumenism. We are preparing a seminar which will be presented at the next meeting of the Societas Oecumenica. The results of this survey will also be published in our Bulletin. Lastly, the Franciscan Friars of the Atonement and the Centro Pro Unione feels that the issues of justice, peace and the integrity of creation are also points of ecumenical interest. David Fitzgerald has represented us at a meeting held by Franciscans International, a Non Governmental Organization (NGO) with the United Nations. Franciscans from many nations explored ways and means to develop membership in Franciscans International and to communicate European concerns to the Franciscan NGO project. This organization should be kept in mind especially because of the ecumenical contacts which can be made in an international context. Dionysius Mintoff, ofm of "John XXIII Peace Lab" in Malta was chosen chair of the "Franciscan International European Committee" to advance the project in Europe. From all of us here, we wish you a joyous Easter. I ' James F. Puglisi, SA Director _C ____ C_� -------- --------- -- Centro Conferences Le dialogue catholique-orthodoxe Quelques enjeux ecclesiologiques de la crise actuelle autour des Eglises unies par Herve Legrand, o.p. Professeur a l'Jnstitut catholique de Paris (Conference donnce au Centro Pro Unionc le mercredi I 8 novembre 1992) L'existence des Eglises orientales catholiques a fait probleme presque constamment pour 1 'Eglise orthodoxe, mais, comme nous avons tous pu le constater !ors de l'effondrement du communisme, ce probleme est devenu un probleme aigu dans nos relations. Ce n'est pas seulement un probleme ecclesiologique, c'est vraiment un probleme ecclesial, c' est-a-dire touch ant une partie importante du clerge et des fideles dans leur vie chretienne quotidienne. Dans cette question, comme dans toutes questions ou l'on veut entrer en mediateur, ii convient, autant que possible, de se situer tout de suite au point de vue de chacun des partenaires. Commern;ons par les Eglises unies. Les Eglises catholiques unies, qui viennent de retrouver leur existence legale, se trouvent surtout en Ukraine, en Roumanie et en Slovaquie. On sait qu'elles furent supprimees ii y a 40 ans dans le cadre de la politique stalinienne, que leurs eveques et leurs pretres furent emprisonnes et meme moururent pour beaucoup d'entre eux comme martyrs. On sait aussi que, dans le cadre de pseudo-synodes, leurs fideles firent retour a l'Eglise orthodoxe a laquel1e leurs lieux de culte et leurs biens furent attribues. Aujourd'hui ces freres orientaux catholiques reclament leurs eglises et leurs biens. C'est pour eux une question de justice; et comme on ne Jes leur rend pas sou vent spontanement, ils vont de fait devant la justice civile, avec plus ou mo ins de succes selon Jes pays. La violence du langage de certains d'entre eux vis-a-vis des responsables N.43 / Spring 1993 orthodoxes peut etre notee ici ou la. Au minimum ils disent n'avoir pas entendu beaucoup de paroles de repentir de ta part des responsables orthodoxes. Ainsi le cardinal Lubachivsky a-t-il declare: "Comme chef de l'Eglise catholique ukrainienne, j'ai tendu la main a plusieurs reprises aux orthodoxes russes dans !'amour chretien et le pardon; Jes eveques de l'Eglise catholique ukrainienne en Occident ont fait la meme chose: a eel a ii n 'y a jamais eu aucune reponse" 1 . Ces chretiens expriment ici u!1e amertume bien comyrehensible vis-avis de l'Eglise orthodoxe et n arrive qu'a des echelons moins responsables certaines personnes traitent les eveques orthodoxes d'avoir ete Jes complices plus ou mains passifs de leurs persecuteurs. Leur amertume s'exprime aussi quelquefois vis-a-vis du Siege romain qui ne soutiendrait pas leur juste cause. Ainsi deux temoins repercutent la question que leur a posee le maire de Lvov au moment du passage la-bas de la Commission quadripartite: "Pourquoi le Vatican favorise-t-il si fortement l'Eglise orthodoxe russe?"2 • II convient aussi de nous mettre au point de vue des Eglises orthodoxes concernees. La nouvelle situation y est vecue dramatiquement. Par !es paroissiens tout d'abord: leurs eglises leur sont contestees et ii arrive qu'ils !es perdent. Or ils sont bien entendu attaches a l'eglise ou ils ont ete baptises, ou ils ont ete maries, ou ils viennent regulierement a la liturgie. Ils sont obliges egalement de preciser une allegeance confessionnelle qui n'est peut-etre plus aussi claire apres des mariages entre cathol iques et orthodoxes, surtout apres une ou deux generations. On imagine les tensions dans Bulletin / Centro Pro Unionc -3 ! es families, peut-etre meme les tragedies dans les villages, les petites villes ou meme !es quartiers des grandes villes ... La situation peut-etre vecue plus dramatiquement encore par !es pretres ortho doxes: si I' eglise et le presbytere leur sont enJeves, Jes voiJa a la rue avec leur epouse et leurs enfants, peut-etre meme contraints d'aller dans une autre partie du pays, vers l'inconnu, mais ou? Enfin Jes eveques orthodoxes eux-memes qui se sentent chretiennement en charge de leurs fideles, de leurs pretres et du destin de leur diocese se sentent ulceres par les insinuations qui Jes font passer pour des complices de !'injustice, quand ce n'est pas des complices des autorites politiques athees du passe. Comme eveqnes encore, ii est comprehensible qu'ils s'ouvrent de leurs difficultes aux autres eveques orthodoxes et a !'ensemble de l'Eglise orthodoxe. Nous en sommes arrives au point ou le Patriarche recumenique Bartholorneos 1°' doit faire part, par ecrit, au Pape Jean Paul II le 23 juin dernier, de l'angoisse qui l'etreint en pensant: "aux violents affrontements des Eglises d'Europe cen trale et de I 'Est, connues sous la denomination de rite grec, avec les anciennes Eglises orthodoxes traditionnelles de ces regions, rnalheureusement aussi avec le soutien entier que leur apporte la politique du Vatican" 3 • II deplore aussi que "le dialogue theologique n'ait pu se poursuivre lors de Ia rencontre prevue cette annee a Balamand". Ainsi nous ne sommes pas dans la situation actuelle seulement devant des questions ecclesiologiques mais veritablement devant une question ecclesiale. Dans cette question la responsabilite de 1'.Eglise latine est directement engagee elle-meme. Ce moment ecclesial a ete caracterise d'une rnaniere tout a fait juste par le Pere Boris Bobrinskoy, de la faculte Saint Serge: ''Le moment de verite approche pour le dialo gue de charite entre nos Eglises. Tout recemment encore, le dialogue catholique-orthodoxe s 'est heurte a !'obstacle majeur de l 'uniatisme. II est temps de le considerer en face dans la lucidite reciproque et la repentance quant au passe, dans la charite quant au present, dans l 'invemivite spiri tuelle quant a un avenir greve de lourdes hyp01he ques historiques" 4 • Comme theologiens nous allons, de fa<;on un peu austere, et de fai;on plus restreinte, nous 4 -Bulletin / Centro Pro Unionc borner a clarifier Jes questions ecclesiologiques ou du moins certaines d'entre elles. En effet, Jes evenements recents ont abouti a la renaissance des Eglises uniates la ou elles avaient ete supprimees, mais rien ne permet de dire qu'il s'agit encore d 'une relance de I 'uniatisme comme tel, comme le craint l'Eglise orthodoxe. De fait aucune decision du Saint Siege n'a change quoi que ce soit au statut provisoire attribue par Vatican II aux Eglises unies, dans le decret sur Jes Eglises orientates n. 30, et aucune declaration theologique n 'a remis en cause le statut doctrinal d'Eglise-sreur reconnu aux Eglises orthodoxes. Dans ces circonstances, ii est fort utile d'avoir une vision claire des acquis de Vatican II et de la periode qui a suivi. Ces acquis theologiques et doctrinaux nous obligent a considerer !es Eglises orthodoxes comme des Eglises-sceurs et a ne plus voir dans Jes Eglises orientales unies, et dans le statut qui est le leur, une voie que nous puissions recornmander vers la reconciliation entre l'Eglise cathol ique et I 'Egl ise orthodoxe. Ainsi dans la situation actuelle ii semble important, et ce sera le plan de notre entretien, de se remettre en memoire trois acquis essentiels: 1.L'affirmation de Lwnen Gentium selon laquelle l'Eglise du Christ "subsiste" dans l'Eglise catholique, sans s'identifier strictement a elle, ce qui permet de reconnaitre un statut positif aux Eglises orthodoxes comme eel a est fait particuliere ment dans Unitatis Redintegratio n. 13. 2.L'adoption d'une ecclesiologie de commu nion particulierement dans la formule selon la quelle "l'Eglise catholique une et unique existe dans et a partir des eglises locales" (LG 23). 3.En fin en coherence avec ces deux premiers acquis, la reconnaissance meme des Eglises ortho doxes comme des Eglises-sreurs (Unitatis Redinte gratio 14). De ces acquis, ii ressort: 4.Une relance de l'uniatisme, c'est-a-dire un soutien marque-au developpement des Eglises orientales unies ne peut que compromettre le dialogue fondamental qui doit nous mener a la reconciliation et qui a deja commence. Seul ce N. 43 / Spring l 993 dialogue est en coherence avec l'ecclesiologie de Vatican IL Les accords de Freising et le document encore provisoire d' Ariccia ne devraient pas soulever par consequent d'objections theologiques majeures, lorsqu'ils declarent que l'uniatisme n'est pas la voie d'avenir sur le chemin de la reconciliation des deux Eglises. 5.Ainsi done le dialogue devra se developpersur pied d'egalite entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe pour maitriser le probleme de fond qui se pose: la solution differente que nous donnons jusqu •� maintenant au rapport entre Jes Eglises locales et l'Eglise entiere, � savoir pour le dire brievement, la Papaute et l'autocephalie. PREMIER ACQUIS Quand Lumen Gentium 8 dit de l'Eglise du Christ non pas qu'elle "est" mais qu'elle "subsiste" dans l 'Eglise catholique romaine, la voie est ouverte, a titre de principe, pour reconna1tre l'Eglise orthodoxe comme une Eglise. On sait que le Pape Pie XII a soutenu a la fois dans Mystici Corporis et dans Humani Generis que le Corps mystique du Christ, l'Eglise du Christ et l'Eglise catholique romaine etaient une seulc et meme chose. Aussi n'est-il pas etonnant de voir le schema de Ecclesia presente par la Commission preparatoire a la session d'ouverture en 1962 affirmer: "L'Eglise catholique romaine est le Corps mystique du Christ... el seulement celle qui est catholique romaine a le droit d'etre appelee Eglise." Parmi les critiques qui furent faites de ce schema pendant la semaine ou il fut discute par le Concile, l'une de celle qui s'y fit entendre plusieurs fois concerne cette identification exclusive entre le Corps mystique du Christ et 1 'Eglise catholique. Aussi le schema fut remis sur le chantier. JI revint en novembre 1963 avcc )'addition que "plusieurs elements de sanctification peuvent se trouver en dehors de la structure complete de I' Egl ise" et que "ces elements appartiennent en propre a l'Eglise du Christ". La commission theologique revisa ce texte et rempla�a le verbe etre par celui de subsister. Elle N. 43 / Spring I 993en donna la justification suivante: "A fin que !'expression puisse mieux s'accorder avec !'affirmation relative aux elements ecclesiaux qui se trouvent en dehors d'elle". Mais recourir au terme subsister signifie en positif que c'est dans l'Eglise catholique romaine qu'elle peut etre trouvee; elle continue d'y exister avec toutes ses proprietes essentielles: son unicite, sa saintete, sa catholicite et son apostolicite. En aucune maniere, evidemment, on entend par la que ces proprietes s'y trouvent a l'etat de la perfection eschatologique5. Comme presque tous les commentateurs l'ont dit, ce cbangement de vocabulaire signifie aussi une ouverture significative vers la reconnaissance d'une realite ecclesiale dans les Eglises et communautes chretiennes non catholiques. Mais ceci n'est pas seulement le fait des observateurs. II faut en effet remarquer que Unita cis Redintegratio et Lumen Gentium sont promulgues justement le meme jour: le 21 novembre 1964. Dans l'allocution qu'il pronon�a a cette occasion, le Pape Paul VI, s'adressant specialement aux observateurs non catholiques, fit remarquer explicitement que la doctrine sur I 'Eglise concenue dans Lumen Gentiu'r> dcvrait etre interpretee a la lumiere des explications fournies dans le decret sur l'a:cumenisme6 • Or que trouve-t-on au chapitre 23 du decret su l'a:cumenisme? Son titre memc etablit clairement, puisqu'il s'intitule Eglises et communautes ecclesiales separees du Siege romain, qu 'ii y a des Eglises qui sont separees du Siege romain et dans la 1 tre partie du chapitre intitule "Considerations particulieres relatives aux Eglises orientates", ii apparait que ces Eglises quoique n'etant pas en pleinc communion avec Rome sont certainement reconnues com me "des Eglises particul ieres" dans le sens theologique et non pas purement conventionnel de cette expression7 • Les Eglises orientales ont ete reconnues comme de veritables Eglises, au-dela de tout doute, puisque le m�me decret sur l'a:cumen.isme s'exprime au sujet de la communicacio in sacris avec les Orthodoxes en disant ceci: "Afin de promouvoir de plus en plus I 'union avec !es Eglises orientates separees de nous l'admission reciproque al 'Eucha-8ullelin / Centro Pro Unionc · 5 ristie et a d'autres sacrements n'est pas seulement autorisee mais encouragee en certaines circonstances", (UR 15). On peut done en conclure que le "subsistit in", Ju en relation avec Unitatis Redintegratio, comme ii est necessaire de le faire selon Paul VI, ouvre Ia voie pour reconnattre dans I 'Eglise orthodoxe une veritable Eglise8 • Voila le premier acquis de Vatican JI. DEUXJEME ACQUIS L'adoption d'une ecclesiologie de communion par Vatican ll permet la reconnaissance des Eglises orthodoxes comme Eglises locales, en particulier lorsque Lumen Gentium 23 enseigne que "l'Eglise catholique une et unique existe dans et a partir des Eglises locales"; et per met ainsi de privilegier la perspective de la reconciliation entre deux veritables Eglises. Ce n'est pas le lieu d'entreprendre ici un expose sur l'Eglise comme communion d'apres Vatican II. Mais pour notre sujet ii est important de faire l'exegese de la formule cle de Lumen Gentium 23 que l'on vient de citer. Nos fri�res orthodoxes doivent toutefois bien situer les difficultes qui demeurent a son sujet, et dont on trouve des echos dans la recente Lettre de Ia Sacree Congregation pour la doctrine de la foi sur certains aspects de la communion ecclesiale. En fait la theologie de la communion est restee assez prisonniere a Vatican II de la problematique occidentale primaute/collegialite dont ii faudra signaler quelques inconvenients. Un peu d 'histoire: Collegialite des eveques et communion des Eglises a Vatican JI Trois choses doivent �tre precisees ici. La premiere est que malgre l'etroitesse de la problematique primaule/collegialite a Vatican H, ce concile a quand meme redecouvert la communion des Eglises, et pose Jes fondements d'une theologie des Eglises regionales et qu'enfin ii ouvre ainsi la voie indispensable a un rapprochement avec l 'Eglise orthodoxe. 6 · Bulletin/ Centro Pro Unione Etroitesse de la problematique de la collegialite et decouverte de la communion des Eglises. La majorite des Peres de Vatican II etait favorable a l 'idee de collegialite episcopale. Ils attendaient beaucoup de sa reconnaissance doctrinale. Citons par exemple une "decentralisation" effective, une maniere plus collegiale de gouverner l'Eglise, la reconnaissance de pouvoirs canoniques aux conferences episcopales, une plus grande liberte d'adaptation missionnaire dans Jes cultures non europeennes, une prise en compte plus reelle des Eglises locales sans laquelle ii ne saurait y avoir d'avancees recumeniques, notamment en direction des Eglises orthodoxes et anglicanes ... Tous ces enjeux lies, dans les esprits, a la collegiaIite supposaient simultanement la revalorisation theologique et pratique des Eglises locales et de leurs relations mutuelles, c'est-a-dire une meilleure expression de la comrnunio ecclesiarum au sein de l'Eglise catholique. Comme nous verrons, Vatican II a pose des affirmations decisives en cette direction, sans pourtant les organiser de fac;on systematique. L'effort systematique s'est porte de fai;on privilegiee et presque exclusive sur I' elaboration du concept de college des ev�ques. Fondamentalement, ii fallait etablir dogmatiquement la position de I' episcopat dans la structure ecclesiale voulue par le Christ dont !'expose avait ete interrompu a Vatican I. De ce fait, le bin6me collegialite/primaute, dont I 'horizon est premierement celui de I 'Eglise universelle, devait determiner la perspective. Pour parvenir a l'harmonie de ces deux institutions, Lumen Gentium est parti de la sacramentalite de l'ordination episcopaJe conferant la sacra potestas; ce qui permettait de presenter Jes ministres hierarchiques de !'Eglise comme un ordo, un corps ou un college d'eveques, dont le Pontife romain est le chef. Ainsi le college detient-il solidairement, et de droit divin, tout le pouvoir ecclesiastique. En elle-meme, au plan conceptuel, cette affirmation representait un acquis considerable. Mais elle revela presque immediatement !'extreme modestie de sa portee. En effet pour !'harmoniser avec Jes donnees de Vatican I, on crut necessaire d'affirmer simultanement que l'exercice du pouvoir du college demeurait sous la dependance perma-· N. 43 I Spring 1993nente de son chef, lequel possedait en outre, a lui seul, le meme pouvoir et pouvait I' exercer person nellement sans le concours effectif des autres eveques. Des le vote, Ia lecture publique de Ia Nora praevia a l'expansio modorum du chapitre 3 de Lumen Gentium 9 permit a chacun de mesurer la portee effective de la nouvelle doctrine. Le choix open� revelait ainsi bien des limites, tres particulierement pour le rapprochement avec I 'Eglise orthodoxe. Ces Ii mites etaient-elles previsi bles? On pense que oui lorsqu'on se souvient des mises en garde d 'un observateur orthodoxe, com.me N. Nissiotis disant que la collegialite telle qu'elle etait envisagee (devolution de pouvoirs au sein d'un college universe!): "est une notion tres imprecise, qui n 'a aucun fondement scripturaire ou historique ... Les Ortho doxes voient le signed 'un malentendu ecclesiologi que dangereux (dans le Jail) qu 'un concile soumette a la discussion une conception de la collegialite qui n 'est ni biblique, ni historique, et decide de l'adopter" 10 • A cause de son hostilite bien connue a la majorite, l'eveque Carli de Segni, qui declarait equivalemment "neque ex Sacra Scriptura, neque theologice, neque historice probari potest", ne fut pas plus entendu. Du moins aurait-on pu porter attention a l'avertissement orthodoxe. Signalons, sans nous y attarder ces limites conceptuelles. Le concept de college envisage d'abord le pouvoir d'un groupe de personnes au sein de l'Eglise universelle sans l 'articuler a la communion des Eglises, ceci est manifeste a la lecture de Lumen Gentium 23: "Un homme est constitue membre du corps episcopal en ver t u de la consecration sacramentelle et par la communion hierarchique avec la ttte du college et avec ses membres". Autrement dit on ne mentionne pas que le sens de l'ordination episcopale comporte de presider a une Eglise de Dieu. Signalons quelques autres limites du concept de college. Le college est toujours dependant de sa tete tandis que Ia tete n'a pas !'obligation canonique d'agir en collaboration N.43 / Spring 1993 avec le college. Enfin la structure du droit divin du college exigerait la collaboration de tous ses membres pour etre en mesure de passer a !'action, ce qui lui permet difficilement d'agir en tant que tel. Pourtant simultanement Vatican II a decouvert que l'Eglise catholique etait une communion. A Vatican II, la conception de l'Eglise catholique comme communion d_'Eglises locales n'a pas fait l'objet d'une reflexion aussi systematique que l'idee de collegialite episcopale. L' expression n'apparait meme litteralement qu'une seule fois avec une seule equivalence theologique celle de Corpus Ecclesiarum (LG 23). Vatican II donne toutefois des orientations doctrinaJes et des recom mandations pratiques qui font que la communion des Eglises represente un cadre pour la comprehen sion de l'activite collegiale des eveques. II importe essentiellement de retenir deux idees: l O L'affirma tion doctrinale tout a fait decisive selon laquelle l'Eglise catholique une et unique existe dans et a partir des Eglises locales et 2 ° la reconnaissance thcologique et canonique d'Eglises regionales dans la communion et le vreu qu'il s'en developpe d 'autres. ., 1. In quibus, ex quibus: l'Eglise catholique existe dans et a travers les Eglises locales Parlant des Eglises locales "formees a !'image de l'Eglise universelle", LG 23 affirme que c'est "en elles et a partir d'elles qu'existe l'EgHse catholique une et unique". C'est la plus irnportante formule ecclesiologique du concile, a-t-on dit. Elle se retrouve equivalemment pour introduire le sens du ministere episcopal en CD 11: "Dans chaque Eglise particuliere, l''Eglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique est vraiment presente et agissante", mais on lisait deja dans SC 41 que "tous doivent etre persuades que la principale ma nifestation de I 'Egl ise consiste dans la participation pleniere et active de tout le saint peuple de Dieu aux memes celebrations liturgiques, surtout a la meme Eucharistie". Cette formule in quibus et ex quibus, est absolurnent decisive pour comprendre la structure de la communion au sein de l'Eglise catholique. Tous s'accordent pour affirmer aujourd'bui que la Bulletin I Centro Pro Unionc -7 communion et non la collegialite, est le theme central de Vatican II, aussi bien le Synode extraor dinaire de 1985 que Jean Paul Il. Ce dernier reprend litteralement a son compte la formule du Synode: "L'ecclesiologie de communion est l'idee centrale et fondamentale des documents du concile" 11• D'apres les textes qui precedent, adopter une ecclesiologie de communion, c'est affirmer theologiquement et mettre en ceuvre pratiquement l'inclusion mutuelle entre Jes Eglises locales. L'image guide sous-jacente ici n'est pas celle qui sous-tend la conception juridique de la collegialite pour qui l'Eglise universelle est une realite immediate. lei, ii est cl air que 1' Egl ise universelle n 'est pas une realite imm&liate. Elle ne l'est d'ailleurs jamais, meme si elle peut s'exprimer en tant que telle en certaines circonstances a travers le concile recumenique ou le pape. Comme l 'a fait valoir le Cardinal de Lubac, "une .Eglise universelle anterieure, ou supposee existante en dehors de toutes les Eglises particulieres, n'est qu'un etre de raison"12 • Soyons plus precis encore: Vatican II cesse de voir Jes Eglises locales comme des realisations partielleset subordonnees de l"l:'.glise entiere. A juste titre, parce que dans chaque Eglise diocesaine l'Evangile, !'Esprit Saint, l'Eucharistie et le ministere sont des n�alites indivisibles, chaque diocese est une portion, et non pas une partie de l'Eglise entiere. Si bien que l'Eglise entiere doit �tre comprise a partir des realisations locales de l'Eglise. Dans cette perspective, on se pose une fausse question en se demandant: qui de l'Eglise locale ou de l'Eglise entiere a la priorite sur l'autre? Si l'Eglise universelle n'existe que realisee dans Jes Eglises locales et a partir d'elles, alors ce sont Jes Eglises locales qui ont la priorite. S 'ii n 'y a pas d 'Eglises locales qui ne soient "forrnees a !'image de l'Eglise universelle" garante de la vraie foi, alors l'Eglise universelle est premiere. Et de fait seule l'Eglise entiere s 'est vue promettre que les port es de I' en fer ne prevaudront pas contre elle: cela n • a ete dit a aucune Eglise locale. Bref, si Jes deux points de vue sont vrais ensemble, ii convient de renoncer au langage de la priorite: la verite se trouve dans la mutuelle interiorite des Eglises, c'est-a-dire dans leur communion. 8 -Bulletin / Centro Pro U nione Les consequences de cette ecclesiologie de communion pour l'exercice de l'episcopat sont evidentes: l'eveque ne peut etre simplement le representant de l 'Eglise entiere dans son Eglise ni simplement le representant de son .Eglise aupres de toutes Jes autres; ii est leur lien et leur mediation meme, comme nous l'ecrivions ii y a deja 20 ans 13. Concluons: La collegialite doit s'entendre d'un regroupement d'eveques presidant effectivement a la communion de leur Eglise localement, et de ce fait a la communion des Eglises de leur region ou de l'Eglise entiere. On rencontre ainsi les regroupements d'Eglises regional es comme cadre indiscutable de I 'activite des eveques: le retour a cette perception traditionnelle est le gage de notre rapprochement avec J'Eglise orthodoxe. 2.La reconnaissance theologique et canoni que d'Eglises regionales au sein de la communw La reconnaissance des regroupements d'Eglises dans une region est explicite en LG 23: "La divine Providence a voulu que Jes Eglises ( ... ) se rassemblent au cours des temps en plusieurs groupes organiquement reunis qui ( ... ) jouissent de leur propre discipline, de leur propre usage liturgigue, de leur patrimoine theologique et spirituel", ceci dans le cadre de I 'unite de la foi et de la divine constitution de I 'Eglise universelle. II ne s 'agit pas dans cette description d'un souvenir historique mais d'une realite toujours actuelle sous la forme des Eglises orientales catholiques (OE 2). D'ailleurs Vatican II "declare solennellement que Jes Eglises d'Orient, tout comme celles d'Occident, ont le droit et le devoir de se gouverner selon leurs propres disciplines particulieres" (OE 5). Ces Eglises "jouissent des memes droits et elles sont tenues aux memes obligations, egalement en ce qui concerne la pr&lication de l'Evangile dans le monde entier (Mc 16, 15) sous l'autorite du Pontife romain" (OE 3). Dans ce cadre il devient evident que la collegialite des eveques ne peut pas etre une institution d'eveques tous egaux et tous interchangeables comme le laisserait penser une certaine habitude N.43 I Spring 1993 des translations. lei, des groupes d'ev�ques ont en charge tout le destin spirituel complexe d'Eglises regionales qui ferment des unites au sein de l 'E glise entiere. Cette dern.iere n'est pas seulement un corpus ecclesiarum d'Eglises diocesaines (LG 23), mais eJle comprend aussi des Eglises regionales dont "la variete montre avec plus d'eclat, par leur convergence dans I 'unite, la cathol icite de l'Eglise indivise" (ibid). Parlant de la mission, Ad Gentes souligne que depuis la Pentec6te, la vocation de l'Eglise est de parler toutes les langues, de comprendre et d'embrasser toutes les langues et de triompher ainsi de la dispersion de Babel (AG 4). Dans cette logique, imitant le Christ qui "par son incarnation s'est lie aux conditions sociales et culturelles determinees des hommes avec lesquels ii a vecu" (AG 10), "le rassemblement des fideles, dote des richesses culturelles de sa propre nation, doit etre profondement enracine dans le peuple" (AG 15). C' est ainsi que "dans chaque grand territoire socio-culture I" doivent na1tre des Egl ises particul ieres aux conditions suivantes: "Que soit repoussee toute esptce de syncre risme et de faux panicularisme, et assumees, dans I 'unite catholique, les traditions de chaque Jami/le des nations, a.fin que la vie chrecienne soit adaptee au genie et au caractere de chaque culture (. . .). Ainsi les nouvelles Eglises panicuiieres auront leur place dans la communion ecclesiale" (AG 22). II est evident que I' inculturation de la vie chretienne que l'on decrit ainsi ne pourra etre guidee par l'eveque d'un seul diocese, ni guidee seulement de Rome. Mais elle aura besoin d'echanges pour se conformer au desir de LG 13 de voir I' Egl ise entiere s' enrichir de la cathol icite des Eglises locales: "Chacune des Eglises particulitres apporre aux autres et a l 'Eglise tout entiere le benefice de ses propres dons, en sorte que chacune en particulier et routes ensemble s 'accroissenr de l 'apport de toutes, en communion !es unes avec Les autres". De cette realisation de l 'Eglise regionale, Vatican II attend egalement une impulsion pour le N.43 / Spring 1993 retablissement de !'unite entre les chretiens divises: UR 4 reprend cette idee en s'appuyant sur LG 23. Sur cet horizon recumenique et missionnaire, lie chaque fois a l'inculturation, le premier champ de responsabilite des eveques, apres leur propre diocese, devrait etre celui de leur Eglise regionale. Plus generalement, s'il est une urgence, c'est bien le renforcement des Eglises regionales (nous ne disons pas nationales) au sein de l'Eglise catholique, tant leur importance est grande pastoralement pour nous, et recumeniquement pour le rapprochement avec l 'Egl ise orthodoxe. La resistance a renforcer !es Eglises regionales ne peut s'appuyer sur la doctrine trop simple selon laquelle ii n'y a que l'eveque dans son Eglise et le pape dans l'Eglise entiere qui soient de droit divin. La realisation de la catholicitede l'Eglise dans chaque espace culture! appartient aussi a la vocation de l'Eglise, et la collegialite est a s·on service dans le cadre des palriarcats, des conferences episcopal es ou nationales d'eveques. Jl en va de m�me de la primaute qui n'est plus des tors� concevoir dans le strict cadre de la collegialite comprise a la latine14. ,,, TROISIEME ACQUIS La reconnaissance des Eglises orthodoxes corn me Egl ises-sreurs et sa reception par I' ecclesiologie catholique post-conciliaire. L'acquis de Vatican 11, le plus specifique pour notre sujet, est une reconnaissance de l'Eglise orthodoxe comme etant pour nous une Egl ise-sreur. A Vatican Il la designation de J'Eglise orthodoxe comme Eglise-sreur n'est pourtant pas directe. L'expression ne se rencontre qu'une unique fois, en UR 14. Elle sert A decrire les modalites et la teneur des relations entre Jes Eglises locales en Orient, autrefois et aujourd'hui; on ne designe done pas immediatement l'Eglise ou les Eglises orthodoxes comme des Eglises-sreurs: "Pendant plusieurs siecles, Les Eglises d 'Orient el d'Occident suivirent chacune leur propre voie, unies cependant par la communionfraternelle dans la Joi et la vie sacramentelle, le Siege romain Bullelin / Centro Pro Unionc -9 Next >