CENTRO PRO UNIONE N. 69 - Spring 2006 ISSN: 1122-0384 semi-annual Bulletin In this issue: Letter from the Director...............................................................p. 2 Une théologie de l’eucharistie pour le 3e millénaire Paul De Clerck ...............................................................p. 3 Hospitality as Ecumenical Paradigm George H. Tavard ............................................................ p. 9 A Bibliography of Interchurch and Interconfessional Theological Dialogues Twenty-first Supplement (2006) ................................................ p. 20 Centro Pro Unione - Via S. Maria dell'Anima, 30 - 00186 Rome, Italy A Center conducted by the Franciscan Friars of the Atonement Director's Desk In this issue you will find the up-date of the Bibliography of the International Interchurch Theological Dialogues. You may also find the up-to-date bibliography (in real time) on our web site at all times (http://www.prounione.urbe.it click on library and then go to the bibliography of interconfessional dialogues). In this issue of the Bulletin, we are pleased to present the last of the lectures from the Centro Pro Unione’s special series on the Eucharist. Prof. Paul De Clerck speaks of the challenges that the third millennium poses to the celebration of the Eucharist. George Tavard’s conference, given at the Centro during this year’s celebration of the Week of Prayer for Christian Unity, entitled “Hospitality as Ecumenical Paradigm” is also included. Prof. Tavard is no stranger to the Centro since he has spoken here many times both during the Second Vatican Council as well as afterwards. The ninth annual Paul Wattson/Lurana White lecture will be given by Gillian Kingston, Methodist member of the International Methodist-Catholic Dialogue from Ireland. More details of the lecture will be forthcoming in the Fall issue of the Bulletin. The ecumenical symposium sponsored by the Ecumenical Institute «Studi Ecumenici» San Bernardino and the Centro Pro Unione held at the Pontifical University of St. Thomas Aquinas - Angelicum, Rome, from Dec 1-3, 2005 on the theme of “The Relation between Bishop and the Local Church: Old and New Questions in Ecumenical Perspective” was a big success. The acts will be published in a future issue of The Jurist (in English) and in Studi ecumenici (in Italian). Activities of the Centro this year have included courses that were conducted for Caldwell College (USA) on “Faiths Seeking Understanding” and St. Olaf’s College of Minnesota (USA) “On Christian Rome.” in addition to these groups, we received 37 students and faculty from the Ecumenical Institute of Bossey. In addition conferences held this year include “Anglicanism and Eucharistic Ecclesiology” by Dr. Paul Avis from the University of Exeter and “A Contemporary Lutheran View of the Papacy: The Possibility for Ecumenical Advance” by Prof. William Rusch of the Evangelical Lutheran Church in America. These texts will be found in the Fall issue. Our researcher, Dr. Teresa Francesca Rossi, attended the 40th Anniversary Consultation on the mandate of the Joint Working Group between the Catholic church and WCC in Geneva where she presented a paper: “Towards the Renewal of Ecumenism in the 21st Century: The Contribution of the JWG”. Since she is an expert in Pentecostalism, she also attended the Azusa Street Centennial. “Together Again,” held in Los Angeles as guest of the International Charismatic Committee. The Director gave a paper: “Learnings on Apostolicity from the Anglican and Methodist Dialogues” at the University of Durham in honor Walter Cardinal Kasper who received an honorary doctorate. In addition he gave the Runcie Lecture “Constructing Local Theologies. A Challenge for the Future” at the graduation of the Graduate Theological Foundation (GTF). The Centro’s Annual Summer course on the ecumenical and interreligious movements is an approved course of the GTF. This periodical is indexed in the ATLA Religion Database, published by the American Theological Library Association, 250 S. Wacker Drive, 16 th Floor, Chicago, IL 60606 (http://www.atla.com). James F. Puglisi, sa DirectorN. 69 / Spring 2006Bulletin / Centro Pro Unione 3 Centro Conférences CCCC Une théologie de l’eucharistie pour le 3 e millénaire Prof. Paul De Clerck Institut Supérieure de Liturgie, Institut catholique de Paris (Conférence tenue au Centro Pro Unione, jeudi, le 14 octobre 2004) Comment comprendre le propos de cette intervention et de son titre? Faut-il entendre que l’Eucharistie se modifie d’un millénaire à l’autre? À cette question initiale, il faut apporter deux réponses. La première consiste à bien considérer que le titre de cet article parle non de l’Eucharistie elle-même, mais de sa théologie, c’est-à-dire de ce qu’on en dit, de la manière de la comprendre, en rapport notamment avec les autres dimensions de la foi. A considérer les choses de près, on constate effectivement que les chrétiens des diverses époques ont mis l’accent sur des dimensions différentes du mystère. Il est bon d’en prendre conscience, pour en mesurer à la fois la richesse et la particularité. Effectivement, et c’est une seconde réponse à la question posée, le deuxième millénaire occidental a connu une évolution spécifique de la théologie eucharistique. En fonction de difficultés que nous exposerons dans la première partie de cet article, les théologiens scolastiques ont déployé de gros efforts pour répondre à ces problèmes; ce faisant, ils ont tout naturellement accentué certains aspects de l’Eucharistie, et en ont laissé d’autres dans l’ombre. La piété populaire, elle aussi, a connu des développe- ments particuliers, que l’Orient chrétien a ignorés, et dont parfois il s’étonne. Nous venons d’entrer dans un nouveau siècle, qui inaugure un nouveau millénaire. Ce passage constitue pour les théologiens comme un appel à prendre la mesure de la particularité de l’hérita- ge occidental en ce domaine, de ses richesses mais aussi de ses limites. Elles apparaissent d’autant plus vivement quand on les confronte à la théologie eucharistique d’autres Eglises chrétiennes, notamment orientales. Cette contribution revêt donc un caractère œcuménique, particulièrement bien en place dans le Centro pro Unione. On procédera de la manière suivante. Dans un premier temps, on examinera les conditions historiques de la théologie eucharis- tique commune au deuxième millénaire occidental. Sur cette base, on fera des suggestions en vue d’une théologie eucharistique pour le 3e millénaire. Les conditions historiques de la théologie eucharistique commune du 2e millénaire occidental Malgré l’étonnement que l’affirmation peut provoquer, on peut reconnaître que les chrétiens des huit premiers siècles n’ont pas éprouvé de difficultés majeures à propos de l’Eucharistie. C’est une des raisons pour lesquelles celle-ci n’est pas explicitement nommée dans le Symbole des Apôtres ni dans celui de Nicée- Constantinople.1 1. Les difficultés médiévales Ceci ne veut pas dire que les Pères n’avaient pas commenté l’Eucharistie ou qu’ils n’avaient pas répondu à des questions de leurs interlocuteurs. Ainsi saint Ambroise avait longuement expliqué comment on pouvait croire que le pain et le vin devien- nent le corps et le sang du Christ. “Tu dis peut-être: ‘C’est mon pain ordinaire’. Mais ce pain est du pain avant les paroles sacramentelles; dès que survient la consécration, le pain se change en la chair du Christ. Prouvons donc ceci. Comment ce qui est du pain peut-il être le corps du Christ? Par quels mots se fait donc la consécration et de qui sont ces paroles? Du Seigneur Jésus. En effet tout le reste qu’on dit avant est dit par le prêtre: on offre à Dieu des louanges, on prie pour le peuple, pour les rois, pour tous les autres. Dès qu’on en vient à réaliser le vénérable sacrement, le prêtre ne se sert plus de ses propres paroles, mais il se sert des paroles du Christ. C’est donc la parole du Christ qui produit ce sacrement. Quelle parole du Christ? Eh bien, c’est celle par laquelle tout a été fait. Le Seigneur a ordonné, le ciel a été fait. Le Seigneur a ordonné, la terre a été faite. Le Seigneur a ordonné, les mers ont été faites. Le Seigneur a ordonné, toutes les créatures ont été engendrées. Tu vois comme elle est efficace la parole du Christ. Si donc il y a dans la parole du Seigneur Jésus une si grande force que ce qui n’était pas commençait à être, combien est-elle plus efficace pour faire que ce qui était existe et soit changé en autre chose.”2 Mais les questions devinrent plus complexes, en Occident, à partir de la réforme carolingienne. Un théologien comme Pas- chase Radbert, par exemple, abbé de Corbie (790-865), écrit un 1 On peut éventuellement l’entendre nommée dans l’expression “Je crois…en la communion des saints,” pour autant que cette expression soit comprise au sens des dons sanctifiés, cf. B. BOTTE, “Communion eucharistique et communion des saints,” Questions liturgiques 53 (1972) 255-262. 2 AMBROISE DE MILAN, Des sacrements IV, 14-15, éd. B. Botte, Sources chrétiennes, 25bis (Paris, Ed. du Cerf, 1961) 83.4 Bulletin / Centro Pro UnioneN. 69 / Spring 2006 traité sur l’Eucharistie dans lequel il identifie le corps eucharis- tique du Christ non plus au corps céleste du Ressuscité, comme on le faisait jusque là, mais au corps terrestre de Jésus, né de la Vierge Marie. Voici comment un bon connaisseur présente ces modifications: “Il faut rappeler que c’est Paschase qui a appliqué à l’eucharistie les expressions ‘vrai corps’ et ‘corps né de la Vierge Marie.’ A l’époque patristique, l’expression ‘vrai corps’ désignait le réalisme de l’incarnation, en opposition à ceux qui considéraient le corps du Christ comme une apparence.’ Après Paschase, le réalisme eucharistique s’exprime de plus en plus en recourant aux catégories théologiques qui décrivent l’incarnation. Ambroise parle de la vraie chair du Christ, née de la Vierge Marie, et dit que le pain eucharistique est vraiment sacrement de cette chair; Paschase dit que le sacrement est la vraie chair née de Marie.”3 Les difficultés rebondirent au 11 e siècle avec Bérenger de Tours, qui fut enjoint de signer une profession de foi extrêmement réaliste au concile de Rome, en 1059. 4 Ces questions agitèrent les théologiens pendant plus de quatre siècles, jusqu’à ce que les grands scolastiques proposent une solution dont l’explicitation fut facilitée par l’introduction de la philosophie d’Aristote en Occident, à la fin du 12 e siècle. La solution consista à distinguer en toute réalité de ce monde, donc aussi dans le pain et le vin de l’autel, la substance qui en définit la réalité profonde, et les accidents (on dira aussi les espèces, terme qui fait partie depuis lors du vocabulaire eucharistique commun) sous lesquels les choses nous apparaissent. Ils forgèrent ainsi le concept de trans- substantiation, signifiant que, les apparences restant identiques, la réalité elle-même était transformée: de pain et de vin, elle devient corps et sang du Christ. 5 Pour sa part, la piété des chrétiens de l’époque subit aussi l’effet de ces difficultés et de ces recherches. Focalisée par les questions de l’époque traitées à leur niveau par les théologiens, la dévotion concentre toute son attention sur l’hostie changée en corps du Christ. La foi en ce mystère s’exprima désormais communément par l’expression ‘présence réelle,’ dans laquelle l’adjectif témoigne de la difficulté éprouvée et de l’insistance mise à y répondre. 2. Conséquences de ces recherches théologiques L’élévation Ces difficultés et ces recherches introduisirent une modifica- tion notable dans le canon de la messe. Non dans son texte, mais dans sa gestation; une fois les paroles de Jésus à la Cène pronon- cées sur le pain, les chrétiens de l’époque voulurent ‘voir la présence,’ et demandèrent donc au prêtre d’élever l’hostie; ceci donna lieu à ce qu’on appelle l’élévation, entourée bientôt d’une génuflexion avant et après celle-ci; on fit plus tard de même lors de la consécration du vin. Dans la participation des chrétiens à l’Eucharistie, l’ouïe est désormais disqualifiée au profit de la vue, d’autant plus que la liturgie se célébrait à l’époque en latin, langue devenue inconnue des populations. La piété de l’époque se caractérise par ‘le désir de voir l’hostie,” 6 auquel ont correspondu, outre l’élévation elle-même, divers éléments rituels, comme la venue d’acolytes portant des cierges 7 et agitant la clochette, ainsi que le son de la cloche de l’église, signalant à la population locale que la consécration s’était réalisée. “C’est ainsi, résumé Jung- mann, que la messe fut axée sur un nouveau centre.”8 La Fête-Dieu C’est à la même époque que Julienne du Mont-Cornillon, une moniale de Liège, eut une vision qu’elle interpréta comme la volonté divine d’instaurer dans le calendrier liturgique une fête du corps du Christ. Celle-ci fut célébrée pour la première fois à Liège en 1246, le jeudi qui suit le premier dimanche après la Pentecôte. Y assistait notamment Jacques Pantaléon, archidiacre de Troyes, qui devint quelques années plus tard le pape Urbain IV. Il instaura à son tour la fête à Rome, en 1264; il en commanda les textes de l’Office à saint Thomas d’Aquin.9 Tombée en désuétude à la mort de ce pape, elle fut instaurée définitivement sous Clément V 3 E. MAZZA, Continuità e discontinuità. Concezioni medievali dell’eucaristia a confronto con la tradizione dei Padri e della liturgia, Bibliotheca ‘Ephemerides Liturgicae’ - Subsidia 113 (Rome: Ed. Liturgiche, 2001) 212. Les textes cités sont ceux de PASCHASE RADBERT, De corpore et sanguine Domini, éd. B. Paulus, Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis 16 (Turnhout: Brepols, 1969). 4 Denzinger-Hünermann (DH), n / 690. 5 Le terme substantia a été utilisé dès la fin de l’Antiquité chrétienne dans un sens non philosophique, par exemple dans l’homélie Magnitudo autrefois attribuée à Eusèbe gallican et aujourd’hui à Fauste de Riez (éd. F. Glorie, Corpus christianorum, 101, p. 196-197). Le premier emploi de transsubstantiatio se trouve dans les Sentences du Maître Roland, vers 1140-1145 (éd. Giet, Freiburg, 1891, p. 231), soit avant l’arrivée des traductions d’Aristote en Occident. Sur ceci, voir P.-M. GY, “L’Eucharistie dans la tradition de la prière et de la doctrine,” La Maison-Dieu (LMD) 137, 1 (1979) 81-102, ici 92-102; article repris dans L’Eucharistie. Tradition, célébration, adoration, Les plus belles études de La Maison-Dieu, 1 (Paris: Cerf, 2005) 46-56. 6 Le livre classique est celui de E. DUMOUTET, Le désir de voir l’hostie et les origines de la dévotion au Saint Sacrement (Paris: G. Beauchesne 1926). 7 Sur ces signes lumineux autour des espèces eucharistiques, lire C. VINCENT, Fiat lux. Lumière et luminaires dans la vie religieuse du XIIIe au XVIe siècle (Paris: Ed. du Cerf, 2004); le cierge allumé au moment de l’élévation se nomme joliment la ‘torche à lever Dieu,’ 236. 8 J.-A. JUNGMANN, Missarum sollemnia. Explication génétique de la messe romaine (Paris: Aubier, 1951) t. 1:158. 9 P.-M. GY, “L’Office du Corpus Christi, œuvre de S. Thomas d’Aquin,” Revue des sciences philosophiques et théologiques 64 (1980) 491-507; repris dans Id., La liturgie dans l’histoire, Liturgie, 2 (Paris: Ed. du Cerf, 1990) 223-245.N. 69 / Spring 2006Bulletin / Centro Pro Unione 5 (1305-1314).10 Elle devint dès lors le flambeau de la foi eucharis- tique, parvenue à trouver son expression après cinq siècles de difficultés. Le même mouvement donna lieu, au 14 e siècle, à l’apparition des processions du Saint-Sacrement et à l’adoration eucharistique, emblèmes de la foi eucharistique catholique du deuxième millénaire.11 De la foi catholique, car les Réformateurs du 16 e siècle ne ratifièrent pas ces évolutions; ils refusèrent l’expression de transsubstantiation, pour la raison qu’elle n’était pas biblique; c’est le moins qu’on puisse dire! Ils s’opposèrent aussi aux manifestations de la piété qui s’étaient déployées depuis le 13 e siècle. Quant aux Orientaux, ils ne connurent ni les mêmes difficultés théologiques ni les mêmes développements de la piété, même s’ils partagent la même foi eucharistique que leurs frères d’Occident. Oubli d’autres dimensions de l’Eucharistie L’insistance sur certains aspects de l’Eucharistie entraîna symétriquement la négligence de certains autres. Et d’abord, même si ce n’était pas nouveau, la mise à l’ombre de la participa- tion des fidèles. A l’époque, des jubés séparent le chœur de l’église où les ministres ‘disent leur messe,’ et la nef où les fidèles peuvent ‘prier,’ c’est-à-dire faire leurs prières…à l’occasion de la messe.12 C’est la brisure ecclésiologique entre clercs et laïcs, entre la messe des uns et les prières des autres. Elle est illustrée par de nombreux tableaux où les peintres ont reproduit cet état des choses. 13 La liturgie de la Parole, pour sa part, se réduit à ce que l’on a appelé ‘l’avant-messe’; la Parole n’est plus guère entendue; elle est lue en latin, et à voix basse, par le prêtre derrière le jubé. On n’a pas supprimé les lectures des missels, mais le résultat est pratiquement le même. 14 Quant à l’action de grâce, cœur de l’Eucharistie, elle n’est plus considérée depuis la fin de l’Antiquité comme le centre nerveux de l’action, aussi stupéfiant que cela puisse paraître.15 Ainsi, un théologien de la classe de Martin Luther en est venu à supprimer la prière eucharistique, mis à part la préface et les verba testamenti, sous prétexte qu’elle n’était pas biblique. Enfin la communion des fidèles est tombée en désuétude depuis la fin de l’Antiquité, sous le coup de la réaction des Pères devant des communions apparemment sans conviction de la part de nouveaux chrétiens à peine convertis; 16 Ambroise mettait déjà en garde ses auditeurs contre les pratiques des Grecs qui ne communient plus. 17 Il n’est donc pas étonnant que le 4 e concile du Latran, que l’on a appelé ‘le Vatican II du moyen âge,’ stipule que les chrétiens doivent communier ‘au moins à Pâques,’ prescription devenue le ‘3e commandement de l’Eglise’. 3. L’œuvre de Vatican II Cette description de la célébration eucharistique médiévale, qui a largement perduré durant les siècles ultérieurs, explique la réaction de Vatican II et le programme de restauration liturgique qu’il a développé. Dès le ch. 1, les principes essentiels de la liturgie sont rappelés; le n/ 7 déploie, en réaction à l’évolution médiévale décrite ci-dessus, les diverses modalités de la présence du Christ, ‘surtout dans les actions liturgiques.’ A la lumière du parcours esquissé ci-dessus, ce rappel de la présence pascale du Ressuscité à l’Eglise et au monde apparaît essentiel; il a été repris ultérieurement par le pape Paul VI dans son encyclique Myste- rium fidei, qui comporte cette expression lumineuse à propos de la présence du Christ sous les espèces du pain et du vin: “Cette présence, on la nomme ‘réelle’, non à titre exclusif, comme si les autres présences n’étaient pas ‘réelles’, mais par excellence, parce qu’elle est substantielle.” Cette phrase a été reprise plusieurs fois depuis lors, jusque dans le Catéchisme de l’Eglise catholique. 18 Toujours dans le ch. 1 de la Constitution, le n/ 14 se présente comme la magna charta de la participation active, “demandée par la nature de la liturgie elle-même et qui, en vertu du baptême, est 10 Sur tout ceci, lire A. HAQUIN, éd., Fête-Dieu, 1246-1996. Vie de sainte Julienne de Cornillon. Actes du colloque de Liège, 12-14 septembre 1996, (Louvain-la-Neuve: Institut d'études médiévales de l'Université catholique de Louvain, 1999), 2 vol., 11 Lire E. BERTAUD, “Dévotion eucharistique,” dans Dictionnaire de spiritualité, t. 4,2, col. 1621-1637; G.J.C. SNOEK, Medieval Piety from Relics to the Eucharist. A Process of Mutual Interaction (Leiden: Brill, 1995). 12 B. CHEDOZEAU, Chœur clos, chœur ouvert. De l’église médiévale à l’église tridentine (France, XVIIe-XVIIIe siècle) (Paris: Ed. du Cerf, 1998). 13 On pense par exemple à la représentation de l’église dans laquelle Roger Van der Weiden situe son tableau des 7 sacrements (Anvers, Musée des Beaux Arts). 14 À titre de témoin, on peut apporter le livre de Charles JOURNET, La Messe. Présence du sacrifice de la Croix (Paris: Desclée de Brouwer, 1957). Sur 376, ce futur cardinal en consacre 4 à la liturgie de la Parole, sous le titre: “Le cadre romain actuel du mystère de la messe”; il écrit: “Un portique, l’avant-messe, de nature catéchétique, donne accès à cette liturgie sacrificielle” (303). 15 “Quant à l’action de grâces, écrit le P. GY, elle est, pour Augustin et ses contemporains, disconnectée complètement de l’eucharistie-nourriture,” dans “Eucharistie et ‘ecclesia’ dans le premier vocabulaire de la liturgie chrétienne,” LMD 130 (1977) 19- 34; repris dans La liturgie dans l’histoire (voir note 9), 41-57 (ici 48). 16 Voir J. QUASTEN, “Mysterium tremendum. Eucharistische Frömmigkeitsauflassungen des vierten Jahrhunderts,” dans A. MAYER e.a., éd., Vom christlichen Mysterium. Gesammelte Arbeiten zum Gedächtnis von Odo Casel (Düsseldorf: Patmos-Verlag, 1951) 66-75. 17 AMBROISE DE MILAN, De sacramentis 5, 25, éd. B. Botte, Sources chrétiennes, 25bis, p. 133. 18 Encyclique Mysterium fidei, 3/9/1965, dans R. KACZYNSKI, Enchiridion documentorum instaurationis liturgicae I, (Rome: C.L.V. - Edizioni Liturgiche 1976), n / 436, p. 148; reprise dans l’Instruction Eucharisticum mysterium n / 9 (25/5/1967), ib. n / 907, p. 327, dans le Rituel de l’Eucharistie en dehors de la messe, n / 6; enfin dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, n / 1374. Voir B. BÜRKI, “Le Christ dans la liturgie, d’après l’article 7 de la Constitution Sacrosanctum concilium de Vatican II,” Questions liturgiques 64 (1983) 195-212.6 Bulletin / Centro Pro UnioneN. 69 / Spring 2006 un droit et un devoir pour le peuple chrétien, ‘race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple que Dieu s’est acquis’‘ Le n/ 41 enfin ne craint pas d’écrire que “la principale manifestation de l’Eglise réside dans la participation plénière et active de tout le saint peuple de Dieu aux mêmes célébrations liturgiques, surtout à la même Eucharistie.” Le chapitre 2, pour sa part, précise point par point les restaura- tions à apporter à la liturgie eucharistique. Il commence, comme il se doit, par souhaiter que la table de la Parole de Dieu soit apprêtée plus richement: ‘on ouvrira plus largement les trésors de la Bible’ (n/ 51). Les deux numéros suivants concernent l’homélie et la prière universelle, et le n/ 54 l’utilisation de la langue du pays, véhicule premier de la participation. Le n/55 “recommande fortement cette participation plus parfaite à la messe qui consiste pour les fidèles à recevoir, après la communion du prêtre, le corps du Seigneur consacré au cours de ce même sacrifice.” 19 Le n / 56 affirme que les deux parties principales de la messe constituent un seul acte de culte, ce qui est une prise de position contre la réduction de la première à une ‘avant-messe’ La fin de ce chapitre traite de la concélébration, lieu important de l’ecclésiologie de la célébration. Une théologie de l’Eucharistie pour le 3 e millénaire Il faut commencer par prendre en considération le changement de contexte sociologique, entre les siècles dont nous venons de parler et l’époque actuelle. Cette évolution de l’Eucharistie en Occident s’est développée au sein de ce qu’on appelle la chrétien- té, c’est-à-dire le projet d’une société chrétienne où pouvoir civil et religieux ont partie liée, où tous sont considérés comme étant (ou devant être) chrétiens. La chrétienté, en ce sens, est un projet théologique, tel celui de saint Augustin d’instaurer ‘la Cité de Dieu’ sur la terre; elle correspond également à un état des relations sociales où règne la conviction que ‘Tel père, tel fils’; la foi est censée se transmettre de génération en génération. C’est une société où ne règne pas la liberté de conscience mais plutôt le principe de la religion du prince: cujus regio, eius religio. 20 Les taux très élevés de baptêmes des petits enfants dépendent de cette manière de concevoir la société; le baptême y joue à la fois le rôle de fête de la naissance et d’entrée dans la vie chrétienne. Cet état des choses a commencé à se fissurer à partir de la Renaissance, avec une première répercussion dans la Réforme protestante. Le deuxième coup de butoir fut la Révolution française et la proclamation des droits de l’homme. Ultérieure- ment, les assauts se firent plus nombreux; citons encore, parmi d’autres, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, en 1905 en France, et la fin des États pontificaux avec les Accords du Latran, en 1929. Ce contexte sociologique a bien évidemment sa répercussion sur la théologie, et même sur l’Eucharistie. Il ne s’agit plus de rêver que ‘tout le monde y soit,’ ni de la célébrer ‘pour rehausser’ l’importance d’un événement profane, comme si tous les citoyens du monde partageaient les convictions évangéliques. L’Eucharistie est faite pour des chrétiens. Elle vient en effet en troisième position dans les sacrements de l’Initiation chrétienne; comment pourrait-on comprendre quelque chose du mystère célébré, et surtout y communier, si l’on ne partageait pas un tant soit peu la foi dans le Seigneur Jésus? L’Eucharistie est le trésor de la vie chrétienne; elle n’a pas à être galvaudée, comme si tout le monde y adhérait avec évidence. Il y aura donc, dans les temps qui viennent, moins de monde dans les églises, du moins dans les pays occidentaux qui connaissent l’évolution sociale brossée ci- dessus. Mais il faut souhaiter que les participants à l’Eucharistie y viennent avec une plus vive conscience, et en ressortent avec des convictions évangéliques plus fortes. Il est bon de se rappeler la formule par laquelle le Père de Lubac a résumé la théologique patristique en ce domaine: “L’Eucharistie fait l’Eglise.” 21 Ce contexte social du troisième millénaire occidental étant brossé à grands traits, on pourrait proposer une théologie de l’Eucharistie pour les chrétiens qui en vivent en développant un triple jeu de don et de contre-don. Qu’entendre par contre-don? Voici comment Louis -Marie Chauvet le présente: Tout don oblige; il n’est pas de réception de quoi que ce soit comme don qui n’entraîne le contre-don d’une recon- naissance, au minimum un ‘merci,’ ou quelque expression physionomique. C’est dire que la gratuité du don implique obligatoirement, de par la structure même de l’échange, le contre-don d’une réponse. 22 Le contre-don est donc la démarche entraînée par la réception du don. Tout don est fait à un sujet, qui manifeste son accueil du don en souhaitant donner en retour. Pas nécessairement par obligation sociale, ce qui ne serait qu’une perversion du proces- sus, mais par l’accueil même du cadeau, par reconnaissance de la personne qui le lui a fait. Le cadeau n’est en effet pas un objet, mais l’expression d’un échange symbolique entre deux personnes, qui se lient, d’une certaine manière, par l’échange de cadeaux. Elles intensifient leur présence l’une à l’autre, comme le suggère splendidement un synonyme français de cadeau, le présent. “Les petits cadeaux, dit le proverbe, entretiennent l’amitié.” Sur cette base, on peut présenter l’Eucharistie comme la succession de trois phases de don et de contre-don. A l’invitation du Seigneur à se rassembler répond le contre-don de notre venue, 19 Cette dernière précision, rappelée depuis lors par de nombreux documents, était déjà mentionnée dans l’encyclique Mediator Dei de 1947. Mais les habitudes sont tellement invétérées que, près de soixante ans après, elles n’ont guère changé. Très souvent, durant l’Agnus Dei, le prêtre ou une autre personne se rend au tabernacle pour y prendre le ciboire, comme si l’on était surpris par le fait que des chrétiens veuillent communier. Preuve par les gestes que la communion ne sont pas encore bien intégrés dans la célébration, alors que depuis Pie X la communion peut à nouveau être fréquente. C’est un des lieux de la célébration où l’on mesure le poids des déviances médiévales. 20 Sous cet angle de vue, le document le plus important du concile fut sans conteste la déclaration sur la liberté religieuse, Dignitatis humanae. 21 Sur la force de cet adage et ses limites pastorales, lire H. BLOCK, “L’Eucharistie fait-elle toujours l’Eglise?”, LMD 223, 3 (2000) 73-92. 22 Louis-Marie CHAUVET, Symbole et sacrement. Une relecture sacramentelle de l’existence chrétienne, Cogitatio fidei, 144 (Paris: Ed. du Cerf, 1987) 113-114.N. 69 / Spring 2006Bulletin / Centro Pro Unione 7 de notre présence. Au don de sa Parole correspond le contre-don de l’action de grâce. Au don de la communion se rapporte le témoignage que nous pouvons porter dans le monde. 1. L’invitation et la venue à l’assemblée En régime de chrétienté, on suppose que tous les citoyens sont des chrétiens; on les oblige donc à venir à la messe; on y a même joint une sanction: ‘sous peine de péché mortel’ Or la seule raison de se rendre à l’Eucharistie, c’est d’y être invités. Le Seigneur nous précède. Il nous appelle, chaque dimanche, premier jour de la semaine parce que jour de la Résurrection (Jn 20, 1), à nous rassembler pour entrer plus profondément dans son mystère pascal. On mesure ici à quel point l’instauration de la Fête-Dieu un jeudi, en fidélité à ‘l’institution de l’Eucharistie’ lors de la dernière Cène, a troublé les repères. Car il ne peut y avoir d’Eucharistie avant Pâques, avant la résurrection du Seigneur. C’est le Ressuscité qui nous invite! A ce premier don de grâce correspond, si nous y sommes disposés, le contre-don de notre levée, de notre venue, de notre présence à l’assemblée chrétienne. C’est d’ailleurs Lui qui nous accueille; la première parole du prêtre, après le signe de croix, est bien: ‘Le Seigneur soit avec vous’ L’expression ‘Le Sei- gneur’ désigne effectivement le Ressuscité. Par les premiers mots du rituel, celui-ci se présente à nous; il accueille notre contre-don. C’est la présence du Ressuscité. 2. La Parole et l’action de grâce Pris dans la dynamique de l’échange symbolique, on n’en reste pas là (quoiqu’on pourrait savourer un moment cette présence mutuelle). Le Seigneur reprend l’initiative en nous adressant sa Parole, comme on le fait envers des personnes que l’on aime. En ces lectures, il ne s’agit donc pas avant tout d’enseignement, de rappel, moins encore de formation catéchétique; au-delà de ces aspects, qui peuvent exister, mais sont secondaires, il s’agit de nous mettre à l’écoute de Quelqu’un. Écouter sa Parole, la ruminer par le psaume et la savourer dans le silence, Le recon- naître par l’acclamation (‘Louange à toi, Seigneur Jésus’). Parmi toutes les fonctions que l’on peut légitimement reconnaître à ce moment de la messe, la plus importante est bien l’annonce kérygmatique: Jésus, Ressuscité, nous adresse la Parole, pour faire de nous ses disciples.23 A ce don de Parole correspond le contre-don de l’action de grâce. “Oui, Père, ayant entendu la Parole, nous te rendons grâce pour ton Alliance et ton œuvre d’amour en ce monde, œuvre qui a culminé dans l’envoi de ton Fils, lui qui, la veille de sa passion…et, dans l’Esprit, nous célébrons ici le mystère de sa mort et de sa résurrection.” Hodie, s’exclamait O. Casel.24 C’est en effet un des termes-clé de la liturgie; si elle fait l’anamnèse de l’histoire du salut, c’est pour en dire la réalisation actuelle, et la possibilité de nous inscrire dans ce mouvement salvifique. L’épiclèse est bien là, d’ailleurs, pour nous dire que l’Eucharistie n’est pas une manière de nous rapporter fictivement à la Cène d’hier, mais de recevoir le don de Dieu aujourd’hui, en son Esprit. Les Orientaux aiment souligner que l’Eucharistie est une nouvelle Pentecôte. On peut s’étonner que le sens de l’action de grâce se soit perdu à ce point, chez les chrétiens d’Occident; nous en avons vu les racines ci-dessus, dès Augustin, mais plus encore par l’attention accordée presque exclusivement à la transformation des dons, dès le début du 2 e millénaire. Or eucharistia se traduit par action de grâce! A la décharge des Occidentaux, on peut noter l’accident linguistique qui a fait que le grec euxaristia a été traduit en latin par eucharistia et en français par Eucharistie, mais que le verbe euxaristein n’a pas connu l’équivalent latin eucharistiare ni le français eucharistier. Le latin utilise la périphrase gratias agere, traduite en français par rendre grâce. Tout le moyen âge a compris ces mots à partir de l’étymologie fantaisiste d’Isidore de Séville: eu-xarij, la bonne grâce. Enfin, un accident typographique a encore augmenté la confusion. La préface étant variable, dans les liturgies occidentales, elle était écrite, dans les manuscrits médiévaux, sur une page de droite; à la page suivante commençait la partie fixe du Canon, avec le Te igitur. Les artistes se sont plu à illustrer le T du Te igitur, et à le transformer en croix; l’occasion était trop belle.25 Mais cela a fait en sorte que petit à petit la préface n’a plus été comprise comme faisant partie de la prière eucharistique; le terme préface lui-même, décalque de praefatio qui signifie proclamation, a été entendu en son sens banal de début, avant-propos; et au-dessus du Te igitur apparaît bientôt la mention Incipit canon actionis! Tout cela fait saisir que la perte du sens de l’action de grâce est profonde, en Occident. Il faudra donc encore de nombreux efforts, théologiques et pastoraux, pour que les chrétiens redeviennent sensibles à l’action de grâce, qu’ils entendent l’appel du président à ‘élever le cœur, pour rendre grâce au Seigneur notre Dieu’ C’est la tâche du 3e millénaire. 3. La communion et l’envoi Dans la dynamique de l’Eucharistie, la communion apparaît comme l’étape ultime, le couronnement. C’est le don total de Dieu, en son Christ, à son Peuple rassemblé. C’est l’intimité la plus intense qui puisse se penser entre Dieu et nous, selon la Parole de Jésus: “Celui qui mange ma chair et boit mon sang 23 Voir le n / 189 de LMD, 1992/1: “Bible et liturgie,” surtout les articles de P. BRADSHAW et de H. ALLEN qui détaillent les fonctions de la Parole et des lectionnaires. On trouvera un plaidoyer en ce sens dans R. MESSNER, “La liturgie de la Parole pendant la messe: l’anamnèse du Christ mise en scène,” LMD 243, 3 (2005) 43-60; repris dans L’Eucharistie. Tradition, célébration, adoration, Les plus belles études de La Maison-Dieu, 1 (Paris: Ed. du Cerf, 2005) 91-108. 24 O. CASEL, Das christliche Kultmysterium (Regensburg: Pustet, 1960) 97-99 et 173-175; traduit par J. HILD dans LMD 65, 1 (1961) 127-132. 25 Voir J.-P. DEREMBLE, “Lettres performatives: le Sacramentaire de Gellone,” dans les Chroniques d’art sacré n / 48, 4 (1996) 12-15; P.-M. GY, “La mise en page du Canon de la messe et du bréviaire,” dans H.-J. MARTIN et J. VEZIN, dir., Mise en page et mise en texte du livre manuscrit (Paris: Ed. Electre, 1990).8 Bulletin / Centro Pro UnioneN. 69 / Spring 2006 demeure en moi, et moi je demeure en lui” (Jn 6, 56). Don total, sublime, proprement inimaginable. Son appartenance essentielle à l’Eucharistie ne fait aucun doute, puisqu’il s’agit d’un repas, avec une table, du pain et du vin, et que les paroles de Jésus sont limpides: “Prenez et mangez/buvez-en tous.” Malgré cela, comme nous l’avons vu ci-dessus, les chrétiens se sont habitués à ne plus communier, dès la fin de l’Antiquité chrétienne. Et l’immensité du mystère fait comprendre les innombrables exercices de prépara- tion à leurs rares communions que remplissaient les chrétiens pieux du moyen âge, et qu’ils appelaient la communion spiri- tuelle.26 Même si aujourd’hui encore de nombreux chrétiens ne la vivent pas ainsi, il faut donc bien comprendre que la communion représente le point culminant de l’Eucharistie, le don total que Dieu nous fait en son Fils. Elle se décline d’ailleurs en plusieurs rites. Elle commence par le Notre Père, prière prononcée en ‘nous,’ une fois de plus; ses premiers mots nous font déjà commu- nier, si l’on peut dire, puisqu’ils nous apprennent à dire ‘nous,’ et que nous nous adressons ensemble à Celui que nous reconnais- sons comme notre Père. Suit le geste de paix, où le Christ, comme au soir de Pâques à ses disciples, nous donne sa shalom (Jn 20, 19, 21); la recevoir, et la partager à ses voisins et voisines, même si on ne les connaît guère, c’est une deuxième manière de communier. C’est en tout cas une façon de mettre en œuvre l’indissolubilité des deux commandements de l’Evangile; car avant de nous unir au Seigneur Jésus, il nous est demandé de recevoir-donner la paix à nos frères et sœurs. Nous ne serons jamais plus près de Dieu que de nos frères. La séquence se poursuit par la fraction du pain, geste juif de partage sur lequel se greffe la signification nouvelle donnée par Jésus, lorsqu’il y a ajouté la parole: “ce pain rompu, c’est ma chair, livrée pour vous.” On y joint le chant de l’Agnus Dei, confluent de fleuves de signification biblique, puisqu’on y retrouve l’agneau pascal, nourriture de la libération d’Egypte, la préfiguration du Christ souffrant sous les traits du Serviteur souffrant d’Isaïe (ch. 53), et la désignation de Jésus par Jean- Baptiste (Jn 1, 33). Le terme agneau est utilisé 28 fois dans l’Apocalypse! Le couronnement de cet ensemble rituel, c’est la manducation du corps et du sang du Christ, où s’accomplit le mystère de notre christi-fication, objectif final de l’Eucharistie. Si l’on a commencé à retrouver la communion à la coupe depuis le dernier concile, il serait nécessaire aujourd’hui de réfléchir aux modalités concrètes de la communion, afin de rehausser la force du rite.27 À ce don extraordinaire correspond le contre-don de la vie eucharistique. La messe, en effet, a une fin! Son but n’est pas de s’éterniser; elle est un moment symbolique et rituel de notre vie, destiné à la hausser à une signification sans pareille. Aussi se termine-t-elle par une bénédiction, et un envoi fort: ‘Allez, dans la paix du Christ’ Autant nous avons été conviés par le Seigneur à nous rassembler, pour écouter la Parole, rendre grâce et commu- nier, autant il nous est demandé maintenant de partir et de nous disperser. La parole du prêtre n’est pas de l’ordre du constat (la messe est dite; 28 les portes vont se fermer), mais du programme: ce que nous avons été initiés à faire ici au niveau symbolique, nous sommes envoyés à essayer de le vivre dans le quotidien de l’existence. Car “ce ne sont pas ceux qui disent ‘Seigneur, Seigneur’ qui entreront dans le Royaume de cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père.” Ici aussi, comme pour les pratiques de communion, on souhaiterait une recherche liturgique qui favorise une mise en œuvre plus forte du rite, des modalités qui aident à saisir et à vivre le changement de registre et le passage du rituel à l’existentiel. Conclusion Nous avons aujourd’hui l’énorme avantage d’être informés des aléas de l’histoire, et de pouvoir ainsi mesurer les évolutions de la théologie et des pratiques de l’Eucharistie, de repérer des mo- ments plus forts de tradition et d’autres qui, à nos yeux du moins, paraissent moins puissants. C’est à partir de ce constat que j’ai plaidé pour une théologie eucharistique du 3 e millénaire, c’est-à- dire pour une revalorisation des diverses dimensions de l’Eucharistie, en la totalité de son sens, depuis l’invitation à s’y rendre jusqu’à l’envoi des participants aux chantiers de la justice et de la paix. A tort ou à raison, je l’ai fait en prenant distance par rapport à la théologie eucharistique du 2 e millénaire occidental et à son rétrécissement sur les éléments eucharistiques. Cette prise de position s’est appuyée, par ailleurs, sur le formidable renouveau des études bibliques, patristiques et liturgiques, qui ont permis de retrouver l’ampleur de la tradition et l’énorme richesse offerte par les textes de la prière chrétienne. Cet élan a été accrédité par le dernier concile; s’il a énoncé un projet de réforme liturgique, on se rend compte aujourd’hui qu’il faudra encore bien des années avant que le peuple de Dieu l’ait assimilé. Formons des vœux pour que le prochain synode des évêques catholiques, qui doit se tenir à Rome en octobre 2005, redonne aux chrétiens un goût plus savoureux pour la divine Eucharistie! 26 Voir L. de BAZELAIRE, “Communion spirituelle,” Dictionnaire de spiritualité, t. 2,2, 1953, col. 1294-1300; O. QUENARDEL, La communion eucharistique dans Le Héraut de l’amour divin de sainte Gertrude d’Helfta, Monastica, 1 (Turnhout: Brepols – Abbaye de Bellefontaine, 1997). 27 Sur les rites de communion, lire P. De CLERCK, “Une mystagogie des rites de communion,” LMD 226, 2 (2001) 151-160; repris dans L’Eucharistie. Tradition, célébration, adoration, Les plus belles études de La Maison-Dieu, 1 (Paris: Ed. du Cerf, 2005) 175- 183. Sur les modalités de la communion et sa proxémique, lire J.- M. SORDET, “Proxemic Signs in the Eucharist,” Studia Liturgica 24, 2 (1994) 159-167. 28 Le Missel italien dit (trop?) simplement: ‘La Messa è finita.’N. 69 / Spring 2006Bulletin / Centro Pro Unione 9 Centro Conferences CCCC Hospitality as Ecumenical Paradigm Prof. George H. Tavard, AA Peritus at Vatican II Member of ARCIC, ARC/usa, and the Lutheran/Catholic Dialogue in the USA (Conference held during the Week of Prayer at the Centro Pro Unione, Thursday, 19 January 2005) Several paradigms have been at work in approaches to the restoration of Christian unity since Pope Leo XIII issued the encyclical Satis cognitum (1896), even if the concerned participants have not always been aware of the model that guided their thoughts and actions. What do I mean, in this context, by paradigm? In the epistemology of Thomas Aquinas, the final cause directs all our actions, not the totally final Cause of the universe, identical with God, but the intended purpose in view of which a person acts. In other words, we pursue a dream in everything we do. This makes human life profoundly dynamic. It also puts a burden on everyone, for if we act intelligently we should be able to formulate the aim of our acts. In New Testament terms, we must be ready always to give an account of the hope that is in us. Precisely, hope bears on the future. It leads forward to what lies ahead. It defines the paradigm of one’s life. In the modern context of his Essay in Aid of a Grammar of Assent (1870), John Henry Newman explained that when we act, - and thinking is an act, - we start from an interior ‘impression’ of what we would like to reach, obtain, or make through our action. What he called the ‘illative’ sense is precisely ‘the power of judging and concluding’1 that is at work, when, facing a range of possible attitudes, we decide which is the most appropriate at this moment, in the current circumstances. The decision-making that follows the perception of what is appropriate is always guided by a prevision, or a vision, of what ought to be. This mostly unconscious insight includes a more or less vague sense that something is missing or wrong in what actually is, and that this defective situation should be remedied, at least in part, by what we have decided to do. Thus life and thought are carried forward by hope. In Christian wisdom this hope is anchored in God and the promises of God that we know through the Word made flesh, Jesus Christ, and that we trust through what Calvin called the testimony of the Holy Spirit, present in us. Cardinal Jan Willebrands opened a similar perspective in 1970, when, in a sermon at Great St. Mary’s in Cam- bridge, he referred to the notion of typos of the Church. He spoke of ‘typos in its sense of general form or character,’ and of the existence of a ‘plurality of typoi within the communion of the one and only Church of Christ.’ I quote: Where there is a long coherent tradition, commanding men’s love and loyalty, creating and sustaining a harmonious and organic whole of complementary elements, each of which supports and strengthens the other, you have the reality of a typos. 2 In an ecumenical dialogue the parties try to imagine together what typos of the Church will be able to collect the disparate elements that characterize the Churches in dialogue, and to form a consistent and harmonious whole out of them. Several visions of the proper typos of the Church, several paradigms, have guided the search for Christian unity so far. The Unionist Paradigm In his concern for the unity of Christians Pope Leo XIII did not yet pursue an ecumenical goal. Unionism is a more adequate term for what he wished, the reunion of all Christians under papal leadership. The encyclical Satis cognitum (June 1896) envisioned Christian reunion as the ‘bringing back to the fold,’ as he wrote, ‘of souls that have strayed’ (n.1). Conversion was the model or paradigm of reunion that inspired him. It was not conversion in the profound sense of metanoia, though metanoia was cer- tainly not excluded. The central concern was reunion with the Catholic Church led by the bishop of Rome. Given the historical views that prevailed in the Catholic hierarchy in the last decades of the nineteenth century, the conversion that Leo XIII envisaged was that of Protestant and Ortho- dox Christians to the Catholic Church over which he presided as successor of Peter. ‘We must investigate,’ he wrote, ‘not how the Church may possibly be one, but how 1 John Henry NEWMAN, Essay in Aid of a Grammar of Assent (Garden City, NY: Image Books, I955).276. 2 Information Service, 11 (1970/III)14.Next >