A publication about the activities of the Centro Pro Unione “UT OMNES UNUM SINT” Digital Edition C ENTRO P RO U NIONE Semi-Annual Bulletin A Ministry of the Franciscan Friars of the Atonement Centro Pro Unione Web https://bulletin.prounione.it E-mail bulletin@prounione.it In this issue 2532-4144 Digital Edition ISSN N. 83 - Spring 2013 E-book Twenty-eighth Supplement (2013) `A Bibliography of Interchurch and Interconfessional Theological Dialogues 24 Ladislas M. Örsy, SJ Declaration on Freedom of Religion Dignitatis humanae: The Divine Dignity of Human Persons `Centro Conferences 18 Books / Pubblications Fire in the Night, Manual of Ecumenism `Editorial News 16 Hervé Legrand La réception catholique du Décret sur l’œcuménisme cinquante ans après notamment dans nos relations avec l’Église orthodoxe `Centro Conférences 3 James F. Puglisi, SA `Letter from the Director 22 Centro Pro Unione Bulletin Centro Pro Unione Bulletin A semi-annual publication about the activities of the Centro Pro Unione The Centro Pro Unione in Rome, founded and directed by the Franciscan Friars of the Atonement, - www.atonementfriars.org - is an ecumenical research and action center. Its purpose is to give space for dialogue, to be a place for study, research and formation in ecumenism: theological, pastoral, social and spiritual. The Bulletin has been pubblished since 1968 and is released in Spring and Fall. IN THIS ISSUE Letter from the Director EDITORIAL STAFF bulletin@prounione.it Contact Information Via Santa Maria dell'Anima, 30 I-00186 Rome (+39) 06 687 9552 pro@prounione.it Website, Social media www.prounione.it @EcumenUnity CENTRO PRO UNIONE A Ministry of the Franciscan Friars of the Atonement DIRECTOR'S DESK N. 83 - Spring 2013 Fr. James Puglisi, SA – Director Centro Pro Unione James F. Puglisi, SA Director Centro Pro Unione Spring 2013, n. 83 / Digital Edition (Web) ›Hervé Legrand, OP ›Ladislas M. Örsy, SJ › Fire in the Night - The Life and Legacy of Fr. Paul of Graymoor (Fr. J. Scerbo) ›Manual of Ecumenism (Teresa F. Rossi) ›Bibliography of Interchurch and Interconfessional Theological Dialogues (Twenty-eighth supp. / 2013) n this our first web edition, we begin a series of lectures over the next years which will commemorate and celebrate the fifieth anniversary of the Second Vatican Council. It was the event as well as the numerous documents of this incredible gathering of the world’s bishops that gave birth to the renewal, the aggiornamento so desired by Blessed John XXIII. Even though only the bishops of the world-wide Catholic church voted on the documents and decrees, historians note that in many respects this universal synod was indeed ecumenical because of the invited observers and their contribution during the years of the Council. The Centro Pro Unione was one of the loci where the periti of the Council regularily met with the Orthodox, Anglican and Protestant observers to discuss the many issues that were confronting all Christians. With great joy we share with our readers some of the riches of the lectures given at the Centro to celebrate these 50 years of the Council. Prof. Hervé Legrand, op, emeritus professor and successor of Cardinal Yves Congar at the Institute catholique of Paris gave the fifteenth annual Lecture in honor of the co-founders of the Society of the Atonement, Fr. Paul Wattson, SA and Mother Lurana White, SA. His lecture entitled: “La réception catholique du Décret sur l’œcuménisme cinquante ans après notamment dans nos relations avec l’Église orthodoxe” explores the ways in which the Catholic church has succeeded or failed to put into practice the teaching of the Council concerning her ecumenical commitment. Legrand explores these relations with the Orthodox churches as yard stick of this success or failure. Much has been accomplished but much remains to be done in the future that will represent a coherent application of the norms of ecumenism in our relationships with other Christians. The second evaluative lecture was given by the Jesuit scholar Ladislas Örsy. In looking at the question of religious freedom, Örsy takes the dignity of the human person as his starting point. He poses a series of important questions for evaluating and appreciating the prophetic dimension of Vatican II’s declaration Dignitatis humanae. By looking at the innovative way the Council dealt with the question of the freedom of religion we discover the meaning of human dignity (autonomy, intelligence, capacity to decide destiny), the role of the Church (holding and proclaiming the Word) and what the role of the freedom of conscience in the church is (good faith that seeks equity). The Bulletin concludes with the recent update of the bibliography on the dialogues by Dr. Loredana Nepi. This Bulletin is indexed in the ATLA Religion Database, published by the American Theological Library Association, 250 S. Wacker Drive, 16 th Floor, Chicago, IL 60606 (www.atla.com). I Important announcement Due to the high cost of printing and postage, the Bulletin will no longer appear in hard copy. Starting with this issue the Centro Pro Unione Bulletin is only available on our web site, free of charge, found https://bulletin.prounione.it3 Centro Pro Unione Bulletin CENTRO CONFERENCES `Hervé Legrand N. 83 - Spring 2013 ´ La réception catholique du Décret sur l’œcuménisme cinquante ans après notamment dans nos relations avec l’Église orthodoxe Hervé Legrand, op - Professeur émérite Institut catholique de Paris Conférence tenue au Centro Pro Unione, jeudi 13 décembre 2012 Hervé Legrand, op – Professeur émérite Institut catholique de Paris XV conférence annuelle en l’honneur de P. Paul Wattson et M. Lurana White Vatican II, à la surprise générale, l’Église catholique a rejoint le mouvement œcuménique. Bien qu’il soit né en dehors d’elle, elle y a reconnu “l’action de l’Esprit Saint” et elle a proposé “à tous les catholiques les secours, les orientations et les moyens qui leur permettront à eux-mêmes de répondre à cet appel divin et à cette grâce” (UR 1). La surprise fut d’autant plus grande qu’elle avait combattu un mouvement que le Concile reconnaît comme “un appel divin”. Pour le pape Pie XI, “le retour des dissidents à la seule et véritable Église” était le seul moyen de procurer l’union des chrétiens (Mortalium Animos, 1928). 1 Pie XII avait maintenu l’interdiction faite aux catholiques “laïcs comme clercs, tant réguliers que séculiers” d’assister “aux réunions que l’on appelle ‘œcuméniques’ […] sans le consentement préalable du Saint-Siège”. 2 Dans son encyclique Humani Generis en 1950, il justifiait ce refus en enseignant que “Le Corps mystique du Christ et l’Église catholique romaine sont une seule et même réalité”. 3 1AAS 20 (1928) 15-16. 2Monitum de la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office du 5 juin 1948, AAS 40 (1948) 257. 3“unum idemque esse”, AAS 42 (1950) 571. Dans la continuité de cet exclusivisme ecclésiologique, le premier schéma sur l’Église, présenté à l’assemblée conciliaire par le cardinal Ottaviani, affirmait que: “L’Église catholique est le Corps mystique du Christ […], seule celle qui est catholique romaine a le droit d’être appelée Église”. 4 Immédiatement, le cardinal Liénart, évêque de Lille, l’un des dix membres du conseil de présidence, donna le signal d’une rectification doctrinale à cet égard, au risque de rompre avec un magistère pontifical, unanime et récent: “Je demande, 4Acta Sinodalia [=AS] I, IV, 15. expressément”, dit-il, “que l’on supprime l’art.7 qui fait équivaloir de façon absolue l’Église catholique avec le Corps mystique et que ce schéma soit entièrement révisé”. 5 L’assemblée conciliaire le suivit. Deux ans plus tard cet énoncé était totalement révisé pour devenir l’une des formulations ecclésiologiques les plus importantes de Vatican II en matière œcuménique: “L’unique Église du Christ subsiste dans l’Église catholique” (LG 8). Le verbe être s’y trouve remplacé par le verbe subsister et l’Église catholique ne se trouvera plus jamais désignée du même nom que l’Église locale de Rome: c’est en vain que l’on cherchera l’expression “catholique romain” dans tout le corpus de Vatican II. Ce rappel très sommaire montre que la juste interprétation du Décret UR est indissociable de celle de 5AS I, 4, 127. Sa position était théologiquement argumentée: il fallait renoncer à l’exclusivisme ecclésiologique afin de tenir compte de la relation des autres chrétiens avec le mystère de l’Église du Christ: “Il faut absolument éviter des formules qui portent atteinte au mystère de l’Église. Ainsi il ne faut pas affirmer l’identité de l’Église romaine et du Corps mystique, comme si le Corps mystique était totalement inclus dans les limites de l’Église romaine. L’Église romaine est le vrai corps du Christ mais ne l’épuise pas. Tous ceux qui sont justifiés appartiennent à ce corps mystique du Christ, […] car personne n’est justifié sans être incorporé au Christ. Mais ils n’appartiennent pas à l’Église romaine, sauf s’ils lui ont été agrégés par le baptême et s’ils n’ont pas rompu le lien de la foi et de la communion,” Ibidem, 126.4 Centro Pro Unione Bulletin CENTRO CONFERENCES N. 83 - Spring 2013 ´ Hervé Legrand, op – Professeur émérite Institut catholique de Paris LG. Promulguant ensemble ces deux documents, Paul VI avait déjà déclaré aux Pères conciliaires en mentionnant “les frères encore séparés de nous”, qu’il fallait interpréter la Constitution comme “étant complétée par les déclarations contenues dans le schéma sur l’oecuménisme également (pariter) approuvée par le concile”, une remarque certainement mûrie puisque les règles habituelles de l’interprétation prescrivent de subordonner les décrets aux constitutions. 6 UR a produit des fruits très considérables Malgré certains accidents de parcours, le bilan de l’engagement œcuménique pris par l’Église catholique dans UR est déjà très considérable. On a cessé de désigner les autres Églises seulement sous l’angle du schisme ou de l’hérésie; on les reconnaît désormais comme des voies de salut et on considère leurs membres comme des frères dans un même baptême 7 . À l’apologétique et au prosélytisme, jamais dénués de traits polémiques, qu’on déployait à leur endroit, s’est substitué le dialogue “sur pied d’égalité”. 8 En cinquante ans, on a fait plus de 6Cf. AAS 66 (1964) 1013. 7Cf. UR 3 “Justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ, ils portent à juste titre le nom de chrétiens, et les fils de l’Église catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur”. S’agissant des “Églises et communautés chrétiennes […] on doit reconnaître qu’elles donnent accès à la communion de salut [...] L’Esprit du Christ ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut”. 8UR 9 : “par cum pari”. progrès que pendant les cinq siècles précédents. 9 En direction de l’Église orthodoxe, la Déclaration de Balamand (1993) a permis de dégager des voies nouvelles sur lesquelles cheminer ensemble. On y renonce à un uniatisme qui avait beaucoup aigri nos relations et l’on désavoue cette “méthode d’apostolat missionnaire”, et même son but. 10 On y déclare en commun que l’unité à venir ne se fera ni aux conditions des catholiques, ni à celles des orthodoxes, mais entre des Églises sœurs; ce que Jean- Paul II enregistre en 1995, en citant dans son encyclique Ut unum sint les 9C’était déjà notre diagnostic, il y a dix ans, cf. H. LEGRAND, “Où en est l’œcuménisme? Quarante ans après la promulgation d’Unitatis Redintegratio,” Istina 50 (2005) 353- 384. 10Cf. la Déclaration de Balamand n.12: “cette forme d’apostolat missionnaire […] appelée uniatisme ne peut plus être acceptée ni en tant que méthode à suivre ni en tant que modèle de l’unité recherchée par nos Églises”; ainsi que le n.14: “l’Église catholique et l’Église orthodoxe se reconnaissent mutuellement comme Églises sœurs, responsables ensemble du maintien de l’Église de Dieu dans la fidélité au dessein divin”.5 Centro Pro Unione Bulletin CENTRO CONFERENCES N. 83 - Spring 2013 ´ Hervé Legrand, op – Professeur émérite Institut catholique de Paris termes forts d’UR 14. 11 Ces pas fondamentaux devraient permettre de dépasser les incompréhensions et les résistances qui se manifestent de temps en temps dans nos relations mutuelles. 12 En direction des Églises de la Réforme, la signature à Augsbourg, en 1999, de la Déclaration commune sur la justification avec toutes les Églises luthériennes du monde, représente, elle aussi, une avancée historique 13 puisque la Réforme s’est cristallisée doctrinalement sur l’interprétation de cet article de foi avec lequel “l’Église s’effondre ou se relève”, et qui permet aussi de “juger de tous les autres articles de foi”, 14 selon les propres paroles de Luther. Depuis le Conseil méthodiste mondial 11Ut unum sint n. 95 : “Pendant un millénaire, les chrétiens étaient unis ‘par la communion fraternelle dans la foi et la vie sacramentelle, le Siège romain intervenant d’un commun accord, si des différends au sujet de la foi ou de la discipline surgissaient entre eux’ (UR 14).” Le même pape avait déjà légitimé le contenu de la Déclaration de Balamand en déclarant à la cathédrale orthodoxe de Bialystock “Aujourd’hui nous voyons mieux et plus clairement que nos Églises sont des Églises sœurs. Le fait de dire Églises sœurs n’est pas seulement une phrase de circonstance, mais une catégorie œcuménique fondamentale d’ecclésiologie,” DC 88 (1991) 689-690. 12Un exemple suffira, en contraste avec la citation de la note précédente: dix jours avant la rencontre de la Commission internationale de dialogue en 2000, la SCDF a envoyé à chaque évêque catholique une Lettre secrète, – ce qui lui garantissait une grande publicité -, pour rappeler que l’Église catholique, une et unique, et mère de toutes les Églises, ne pouvait considérer que l’Église orthodoxe comme sa sœur. Rendue publique par l’agence américaine CNS, on en trouve le texte dans la DC 97 (2000) 823- 825. 13Sur la portée de cette signature, on verra H. LEGRAND, “La légitimité d’une pluralité de ‘formes de pensée’ (Denkformen) en dogmatique catholique. Retour sur la thèse d’un précurseur: O.H. Pesch,” La responsabilité des théologiens. Mélanges en l’honneur de Joseph Doré (Paris: Desclée, 2002) 685-704. Ou, en plus accessible, Idem, “Le consensus différencié sur la doctrine de la Justification (Augsbourg 1999). Quelques remarques sur la nouveauté d’une méthode,” Nouvelle revue théologique 124 (2002) 30-56. 14M. LUTHER, WA 40, III, 352, 3 et WA 39, I, 205-2-3. a également signé ce consensus, peut-être en précurseur des autres Églises issues de la Réforme. 15 Dans le cadre d’une seule conférence, alors même qu’elle s’adresse à un auditoire spécialisé, c’est “une mission impossible” que de vouloir proposer un bilan plus détaillé des résultats obtenus. En termes de collaborations pratiques, on notera l’adhésion de l’Église catholique à la plupart des conseils d’Églises chrétiennes à travers le monde, au registre national ou local. Au registre doctrinal, on notera les dialogues bilatéraux que nous en menons avec toutes les Églises chrétiennes, 16 auxquels viennet s’ajouter des dialogues multilatéraux, notamment avec Foi et Constitution. 17 En un travail méticuleux le Centro pro Unione a inventorié exhaustivement l’activité de toutes ces instances de dialogue dont les principaux résultats ont été rassemblés par ailleurs dans le recueil bien connu Growth in Agreement, édité aussi en allemand, français, italien et espagnol. De façon plus originale, on va tenter ici une première analyse de la réception d’UR au sein même de l’Église catholique. Pourquoi évaluer la réception d’UR au sein de l’Église catholique? Quand on évalue la réception d’UR, on envisage habituellement les effets que ce décret a produit dans nos relations avec les autres chrétiens, comme on vient de le faire sommairement. Mais en se limitant à ce seul point de vue, ne risque-t-on pas de passer à côté de la très grande originalité de ce décret? En effet, on le remarque trop rarement, UR s’adresse exclusivement à nous catholiques pour nous dire en quoi, nous-mêmes, nous pouvons et devons approfondir notre vie chrétienne et corriger ce qui nécessite de l’être, afin de réduire les obstacles à l’unité des chrétiens. Mais il ne s’adresse jamais aux chrétiens dont nous sommes séparés pour leur dire ce que nous attendons d’eux. On se tromperait 15Décision prise en juillet 2008 à Séoul. 16Cela va de toutes les Églises préchalcédoniennes jusqu’à des Églises pentecôtistes classiques, en passant par l’Église vieille- catholique. 17On notera les deux plus importants: le BEM (baptême, eucharistie, ministère) élaboré dans le cadre de Foi et Constitution, département du Conseil œcuménique des Églises, dont l’Église catholique est membre à part entière, (Paris: Le Seuil, 1982), ainsi que L’Église: locale et universelle, et La notion de hiérarchie des vérités -interprétation œcuménique (1990), émanant du Groupe de travail mixte entre l’Église catholique et le Conseil œcuménique, cf. CPUC, Service d’information 74, 1990 (III) 76-91.6 Centro Pro Unione Bulletin CENTRO CONFERENCES N. 83 - Spring 2013 ´ Hervé Legrand, op – Professeur émérite Institut catholique de Paris donc gravement en réduisant l’engagement œcuménique catholique à l’amélioration de nos relations avec les autres chrétiens, comme si elle relevait du “ministère des Affaires étrangères”, alors que selon UR, elle relève du “ministère de l’Intérieur”, pour filer la même métaphore. Selon UR 6, cet engagement doit, en effet, devenir une dimension de notre pastorale et de notre théologie: “L’Église, au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre. Si donc par suite des circonstances, en matière morale, dans la discipline ecclésiastique, ou même dans la formulation de la doctrine, -qu’il faut avec soin distinguer du dépôt de la foi-, il est arrivé que, sur certains points, on se soit montré trop peu attentif, il faut y remédier en temps opportun d’une façon appropriée”. On retiendra d’UR qu’il nous faut jeter un regard critique tant sur nos formulations doctrinales que sur nos fonctionnements institutionnels, comme le disait déjà le n. 4 d’UR: “Dans l’action œcuménique, les fidèles de l’Église catholique [...] considéreront surtout avec loyauté et attention tout ce qui, dans la famille catholique elle- même, a besoin d’être rénové et d’être réalisé, de telle manière que sa vie rende un témoignage plus fidèle et plus manifeste de la doctrine et des institutions que le Christ a transmise par ses apôtres”. En ecclésiologie catholique, il est vrai que les institutions liturgiques et, dans une moindre mesure, canoniques sont un lieu concret de la vérité chrétienne, alors que les doctrines paraissent plus lointaines aux fidèles. La recommandation d’UR n. 11 de prêter une grande attention à la “hiérarchie des vérités” de la foi n’en est que plus importante: “Dans le dialogue œcuménique, les théologiens catholiques, fidèles à la doctrine de l’Église [...] se rappelleront qu’il y a un ordre ou une hiérarchie des vérités de la doctrine catholique en raison de leur rapport différent avec les fondements de la foi chrétienne”. Le respect de ce critère est essentiel pour exposer notre foi avec justesse aux autres chrétiens : à titre d’exemple, on ne saurait mettre un dogme périphérique, comme l’Immaculée Conception, sur le même plan que les dogmes christologiques et trinitaires, sans le relier explicitement au concile d’Ephèse. Enfin UR nous demande à plusieurs reprises d’accorder une grande attention à l’histoire. Après avoir noté en passant, au n. 5, que le souci de l’unité concernait “chacun tant dans sa vie quotidienne que dans ses recherches théologiques et historiques”, le décret se fait plus précis sur ce dernier point au n. 10: “La théologie et les autres disciplines, surtout l’histoire, doivent être enseignées de manière à mieux répondre à la réalité [...] et non pas en termes polémiques, surtout pour les questions concernant les relations des frères séparés avec l’Église catholique”. Au n. 14, il insistera encore sur le respect dû à l’histoire propre aux Églises orientales. Ainsi, on vient d’en donner de nombreuses preuves, UR légitime et même demande que l’on s’interroge sur sa réception au sein de l’Église catholique depuis sa promulgation, aussi honnêtement que possible, attentif certes aux doctrines mais aussi à vérifier si les nouvelles institutions corroborent les intentions proclamées. Tout en soulignant les progrès accomplis, on se propose de signaler aussi, en fidélité au décret lui- même, les corrections négligées, voire freinées par suite de résistances à la rénovation de l’Église (UR 6) et à la conversion du cœur (UR 8). Au-delà de l’enthousiasme de la presse et des grandes sympathies suscitées dans les opinions publiques, les résolutions œcuméniques d’UR ont eu un impact pratique rapide. Dès 1970, grâce au Directoire pour l’œcuménisme, en principe, chaque diocèse et, en tout cas, chaque conférence épiscopale se dote d’un organisme spécialisé pour le dialogue. 18 De toute part, les fidèles eux-mêmes sentent les fruits du dialogue à travers la nouvelle législation sur les mariages mixtes et à travers la réforme liturgique: les autres chrétiens qui viennent dans nos églises constatent qu’on y prie désormais dans la langue du peuple, que la Parole de Dieu y est proclamée et que l’homélie commente l’Évangile, et qu’on communie sous les deux espèces. I Les principes énoncés par UR pour le rapprochement avec les Églises d’Orient et leur mise en œuvre Les principes UR 14 “se plaît à rappeler à tous qu’il y a en Orient des Églises locales et particulières” au sens théologique 18Ce Directoire émanant du Conseil Pontifical pour l’Unité des chrétiens a été édicté une première fois en 1967-1970, puis mis à jour en 1993, cf. DC 90 (1993) 609-646.7 Centro Pro Unione Bulletin CENTRO CONFERENCES N. 83 - Spring 2013 ´ Hervé Legrand, op – Professeur émérite Institut catholique de Paris et non purement conventionnel de ce terme. 19 Ce sont des Églises sœurs des Églises locales catholiques, l’expression est directement utilisée au même n. 14 pour décrire les relations entre les Églises locales d’Orient et de Rome autrefois, et, de nos jours, celles des Églises orientales entre elles. 20 La foi apostolique et les sacrements que nous avons en commun, “le sacerdoce et l’Eucharistie qui les unissent intimement à nous” 21 obligent à voir en elles de véritables Églises, avec des évêques ayant pleine 19Dans les explications préalables au vote du texte, on écarte une objection à cette appellation en rappelant “qu’il est manifeste dans la tradition catholique que les Églises orientales séparées sont appelées Églises et ceci en un sens propre”, AS III, 7, 35. 20Vu son destin ultérieur et le fait qu’elle décrive la manière dont l’Église catholique et les Églises orthodoxes pourraient se retrouver à nouveau, il convient de la citer: “Le concile se plaît à rappeler à tous, entre autres choses d’importance, qu’il y a en Orient plusieurs Églises particulières locales, au premier rang desquelles sont les Églises patriarcales, dont plusieurs se glorifient d’avoir été fondées par les apôtres eux-mêmes. C’est pourquoi prévalut et prévaut encore parmi les orientaux, le soin particulier de conserver dans une communion de foi et de charité les relations fraternelles qui doivent exister entre les Églises locales, comme entre des sœurs” (UR 14). 21UR 15. Le NB de la Nota praevia au chapitre III de Lumen Gentium, destiné à rallier la minorité conservatrice, déclarait laisser à la discussion des théologiens la question de la licéité et de la validité du pouvoir exercé de fait par les évêques orthodoxes, “pour l’explication duquel existent des opinions diverses”. juridiction. 22 Pour UR, ce qui fut 23 devient à nouveau possible dans un cadre esquissé comme suit: - le Siège romain n’intervient en Orient que lorsque la foi ou la discipline sont en cause, le gouvernement habituel de l’Église universelle par le pape n’étant plus prôné. 24 - le rôle du Siège romain est l’objet d’une acceptation mutuelle, 25 l’Église de Rome n’étant ni la mère ni la maîtresse des Églises d’Orient, 26 mais leur sœur. 27 Pour que ce cadre ne reste pas utopique, le Décret indique trois conditions, qui sont autant de devoirs pour l’Église catholique: 22Voici l’opinion exprimée à ce sujet par le Père Ivan ŽUŽEK sj, futur secrétaire de la Commission de rédaction du Code des canons des Églises orientales : “Ces évêques ont juridiction en presque tout, excepté s’ils voulaient user de leur potestas docendi au sujet de la primauté papale […].Voici notre pensée : tous les actes de juridiction des évêques orthodoxes doivent être considérés comme accomplis en communion hiérarchique avec l’Église catholique ; ils sont juridiquement valides et licites, excepté ceux qui seraient contraires à l’Écriture, à la doctrine catholique et à la loi naturelle,” La Civiltà Cattolica 122/2 (1971) 562. 23UR 14, que l’on adéjà cité note 11 supra: “Pendant plusieurs siècles, les Églises d’Orient et d’Occident suivirent chacune leur propre voie, unies cependant par la communion fraternelle dans la foi et la vie sacramentelle, le Siège romain intervenant d’un commun accord, lorsque surgissaient entre elles des différends en matière de foi ou de discipline”. 24Le canon 349 suppose que ce gouvernement quotidien lui appartient en spécifiant que “les cardinaux apportent leur concours au Pontife romain surtout dans le soin quotidien (cura cotidiana) de l’Église tout entière”. 25Selon la Commission “d’un commun accord” ne signifie pas que ce rôle a son fondement dans le consensus dont il est l’objet, mais qu’il y avait un consensus pour lui reconnaître ce rôle, AS III, 7, 675-676. 26Ce qui fut exprimé symboliquement par le pape Paul VI baisant les pieds du métropolite Méliton de Chalcédoine lors de sa visite à Rome lors du Xe anniversaire de la levée des anathèmes, DC 73 (1976) 342-343. 27UR 14.8 Centro Pro Unione Bulletin CENTRO CONFERENCES N. 83 - Spring 2013 ´ Hervé Legrand, op – Professeur émérite Institut catholique de Paris - “Tout bien examiné, le Concile renouvelle ce qui fut déclaré par les conciles antérieurs ainsi que par les Pontifes romains: pour établir et garder la communion et l’unité il ne faut “rien imposer qui ne soit nécessaire” (Ac. 15,28)”. 28 - “Depuis les origines, les Églises d’Orient ont suivi une discipline propre sanctionnée par les saints Pères et les conciles même œcuméniques” (UR 16) et le même n. 16 ajoute: “Elles ont la faculté de se régir selon leur propre discipline” et fait remarquer que “l’observance parfaite de ce principe traditionnel est l’une des conditions préalables absolument nécessaires pour rétablir l’union”. - “Tous et surtout ceux qui se proposent de travailler à l’établissement de la pleine communion souhaitée entre les Églises orientales et l’Église catholique” sont exhortés “à bien considérer ces conditions particulières des Églises d’Orient, à l’époque de leur naissance et de leur croissance, et la nature des relations qui étaient en vigueur entre elles et le Siège romain avant la scission, et à se former sur tous ces points un jugement équitable” (UR 14). Le fruit le plus tangible du rapprochement avec les Églises orientales: la Déclaration de Balamand De tels principes porteront des fruits pour le rapprochement avec toutes les Églises orientales. 29 L’Église orthodoxe entrera ainsi en dialogue officiel avec une Église catholique qui renonce à son exclusivisme ecclésiologique. La théologie des Églises sœurs, développée d’abord dans le cadre restreint des relations entre Rome et Constantinople, 30 deviendra le fondement de la Déclaration historique de Balamand (1993), second fruit considérable de la nouvelle attitude catholique. Dans le n. 12 de cette Déclaration, en se fondant sur “la manière dont catholiques et orthodoxes se considèrent à nouveau, se redécouvrant comme Églises sœurs”, on affirme ensemble que la “forme d’apostolat missionnaire qui a été appelée uniatisme, ne peut plus être acceptée ni en tant que méthode à suivre, ni en tant que modèle de l’unité recherchée par nos Églises”. On ne reconnaît pas seulement que la méthode fut une erreur, le but l’était également. Seul un leader de l’envergure de Jean-Paul II pouvait seconder une telle correction de trajectoire, très dure pour des catholiques orientaux qui avaient retrouvé 28UR 18. 29UR 13 accorde le même statut ecclésiologique aux Églises qui ont “contesté les formulations dogmatiques d’Ephèse et de Chalcédoine” et à celles que l’on appelle byzantines aujourd’hui. 30Cf. Tomos Agapès (Vatican-Phanar, 1971), puis Le livre de la Charité (1958-1978) (Paris: Éditions du Cerf, 1984). leur liberté seulement quelques trois ans auparavant, en Roumanie et en Ukraine notamment. Selon le n. 14: “L’Église catholique et l’Église orthodoxe se reconnaissent mutuellement comme Églises sœurs, responsables ensemble du maintien de l’Église de Dieu dans la fidélité au dessein divin, tout spécialement en ce qui concerne l’unité” et on ajoute que la communion recherchée “ne sera ni absorption ni fusion mais rencontre dans la vérité et l’amour”. Le chemin parcouru depuis Vatican II est considérable: la perspective du retour est abandonnée pour une unité qui ne se fera, on l’a déjà souligné, ni aux conditions des catholiques ni à celles des orthodoxes. Deux ans plus tard, Jean-Paul II le confirmait en demandant l’aide des autres chrétiens pour “chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère [papal] pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et les autres”. 31 Balamand exprimait ainsi deux corrections de trajectoire en ce qui nous concerne. Au plan pratique son paragraphe final exclut «pour l’avenir tout prosélytisme et toute volonté d’expansion des catholiques aux dépens des orthodoxes» (n. 35), et au plan théologique, elle exprime que l’unité sera rétablie sur la base de la communion entre des Églises-sœurs. Ce concept d’Églises-sœurs, amorcé à Vatican II puis dans la Correspondance entre Paul VI et Athénagoras Ier, avait été repris par Jean-Paul II, deux ans avant Balamand, et donc légitimé dans son adresse à l’Église orthodoxe de Pologne, comme on l’a déjà rappelé: “Aujourd’hui nous voyons mieux et plus clairement que nos Églises sont des Églises sœurs. Le fait de dire Églises sœurs n’est pas seulement une phrase de circonstance, mais une catégorie œcuménique fondamentale d’ecclésiologie”. 32 Comme la Déclaration le dit, l’unité se fera dans notre commune obéissance à la volonté de Dieu concernant l’unité de son Église. Ceci est enregistré par l’encyclique de Jean-Paul II, au n° 95: “C’est évidemment ensemble que nous déterminerons les formes dans lesquelles s’exercera la primauté romaine”. Signalons que Benoît XVI, lorsqu’il 31Ut unum sint 95, DC 92 (1995) 593. 32Discours à la cathédrale de Bialystock, le 5 juin 1991, DC 88 (1991) 689-690.9 Centro Pro Unione Bulletin CENTRO CONFERENCES N. 83 - Spring 2013 ´ Hervé Legrand, op – Professeur émérite Institut catholique de Paris n’était que théologien, concevait ces formes de façon très souple dans l’unité de la même foi. Voici ce qu’il écrivait dans un ouvrage qu’il a réédité sous son nom de pape: “L’image d’un État centralisé, que l’Église catholique offrit d’elle-même jusqu’au concile, ne découle pas de la charge de Pierre […] le droit ecclésial unitaire, la liturgie unitaire, l’attribution unitaire des sièges épiscopaux à partir du centre romain - tout cela ce sont des choses qui ne font pas nécessairement partie de la primauté en tant que telle” ou encore “Dans l’unique Église de Dieu, il doit [muss] y avoir place pour la pluralité des Églises, car seule la foi est indivisible, et la fonction unificatrice de la primauté lui est subordonnée. Tout le reste peut et doit [kann und darf] être différent, ce qui suppose l’existence de centres autonomes de direction [selbständige Leitungsfunktionen] comme il en existait, par exemple, dans les patriarcats de l’Église ancienne”. 33 L’évaluation de la réception d’UR demande de vérifier si le faire a toujours suivi le dire. Quelles résistances ont freiné l’ouverture obtenue grâce aux principes d’UR? Alors que le rapprochement avec l’Église orthodoxe progressait considérablement, on a du constater son ralentissement durant la seconde moitié du pontificat de Jean-Paul II. Comme en toute situation de ce genre, les raisons en sont partagées. Mais par fidélité au parti que l’on a pris dans cet essai, on s’efforcera d’identifier nos responsabilités en se référant aux critères d’UR. De notre côté, ces responsabilités peuvent être attribuées pour une part au style de gouvernement de Jean-Paul II et plus profondément à une dissociation entre le dire théologique et le droit canonique en vigueur, resté trop étranger à Vatican II. Un style de gouvernement quelquefois éloigné de la sensibilité orientale Pour des raisons toutes pratiques, on sait que le pape voyage comme chef de l’État du Vatican, une qualité à laquelle les catholiques ne prêtent guère d’attention mais qui peut avoir des incidences œcuméniques. 34 C’est ainsi que certaines Églises orthodoxes qui n’auraient pas 33Le Nouveau peuple de Dieu (Paris: Aubier, 1971) 68-69. 34Cf. L. VISCHER, “Der Heilige Stuhl, der Vatikanstaat und das gemeinsame Zeugnis der Kirchen. Eine zu wenig diskutierte ökumenische Frage,” in Ökumenische Skizzen (Frankfurt: Lembeck, 1972)166-193. spontanément invité le pape se sont vu devoir le faire parce que, comme Églises nationales, elles devaient complaire au souhait de leur gouvernement en ce sens (Ce fut le cas notamment en Bulgarie, qui espérait faciliter ainsi son entrée dans l’Union européenne). Cela a pu être ressenti comme une entorse au principe de la parité (UR9). Un facteur de ralentissement plus sérieux se trouve dans le fait que Jean-Paul II, à la différence de Paul VI, ne fut pas toujours soucieux de la cohérence des démarches de sa Curie. De ce fait, l’Église orthodoxe s’est trouvée devant trois discours provenant simultanément de cette Curie, dont elle ne saisissait pas la cohérence intrinsèque: -le Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens officialise le discours des Églises sœurs à Balamand, après Jean-Paul II lui-même; -la Congrégation pour la Doctrine de la Foi veut corriger ce discours en l’an 2000, quelques douze jours avant la rencontre au sommet de la Commission de dialogue entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe, à Baltimore, quand elle envoie une lettre à chaque évêque catholique interdisant de désigner les Églises catholique et orthodoxe comme des Églises sœurs; -entretemps, la Secrétairerie d’État avait pris en mains le conflit, toujours ouvert, par exemple en Roumanie, relatif aux propriétés des Eglises uniates qui furent toutes transférées par ordre de Staline aux Églises orthodoxes nationales qui entendaient souvent les garder. La Secrétairerie d’État, avec raison, pense que de telles questions ne sont pas du ressort de la théologie: “Laissez nous faire, nous avons une tradition de diplomatie internationale, nous savons gérer les questions de propriétés et d’accords avec les États”. Au terme, il s’avère donc que nous avons parlé à l’Église orthodoxe tantôt comme à une Église sœur, tantôt, pour faire bref, nous lui avons envoyé l’huissier ou l’avocat, à travers la diplomatie internationale ou à travers les gouvernements de ces pays, par rapport auxquels les Églises orthodoxes nationales ont très peu de marge de manœuvre. Dernier exemple: en renonçant au titre de patriarche d’Occident, le pape actuel a paru récuser toute instance intermédiaire entre le pape et les évêques, et surtout laissé croire qu’il ne concevait pas l’unité de l’Église comme unité des Églises au pluriel, avec des réalisations régionales. Les principales Églises orthodoxes, Constantinople et Moscou, Next >